OKéANOS

EPISODE 09

Pierre PAÏEN

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3. Invocations.

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BANDE-SON

Si la montagne ne vient pas à Mahomet... s’était amusé à penser le Docteur Pierre PAÏEN  en remerciant le ciel de n’être pas branché à ce moment au réseau de l’Interscan. Si l’on savait à qui je viens de me comparer, on m’enverrait Spot le Boucher me nettoyer les méninges de toute cette crasse musul’. Il n’empêche que Hyt KOULADYB  lui faisait bel et bien l’effet d’être une montagne que nul n’approche sans appréhension. Quand Betty à l’accueil l’avait informé que Monsieur KOULADYB était reparti sans daigner renouveler son rendez-vous, PAÏEN crut voir un instant la balance budgétaire de l’Université Clinique de HOUBLON  dégringoler vers la fonte de subventions éternelles et la faillite totale. Il avait immédiatement tiré la sonnette d’alarme au bureau central des commissions financières ; car, si Hyt KOULADYB lui-même désertait la Clinique et ses soins, on pouvait dire adieu aux écus de la Fondation DANSTLINGER , aux brochures effectuées par DINGHARDT PRESS EMPIRE, aux colloques bondés et aux cerveaux en mal de terrains d’expérimentation. Sans son « Créateur », sans son appui sincère et déclaré, l’Université Clinique ferait office de laboratoire expérimental, avec tous les décalages idéaux / locaux que cela sous-entendait.

PAÏEN  avait alors déclaré au Directeur Financier que si le client est roi, Monsieur KOULADYB était le Roi des rois, et qu’il ne fallait sous aucun prétexte le laisser filer dans les couloirs d’une autre institution. On accepta alors l’auto-investiture de PAÏEN à cette délicate mission de repêchage, non sans raillerie - passage obligé dans les bureaux pour tout excès de zèle. Pour le neurochirurgien Pierre PAÏEN , responsable depuis l’attaque du Professeur MOREAU  du - suspendu - « Projet ONIROSCOPE  » , il n’était ni question de zèle, ni d’ambition, mais d’un intérêt véritable pour le fondateur financier et architectural de l’Université Clinique. PAÏEN n’y était en poste que depuis trois ans, et il n’avait jusqu’alors jamais travaillé dans d’aussi bonnes conditions : locaux larges, clairs et insonorisés, disposition ingénieuse des secteurs cliniques et universitaires, en vis-à-vis, matériel de pointe souvent sous-employé mais toujours disponible, cadres rompus aux techniques de communication modernes comme de méditation transcendantale, formateurs compétents d’équipes triées sur le volet des surdoués, enfants et étudiants précoces à qui l’on faisait une place de choix à l’Université - le Professeur MOREAU était lui-même entré en chaire à l’âge de vingt-trois ans.

La désertion d’Hyt KOULADYB  deux jours après l’attaque du Professeur, c’était beaucoup plus que PAÏEN  n’en pouvait supporter sans ciller. D’un pas (mental) décidé, il commença son repêchage par un appel à l’Hôtel PIXON où KOULADYB disait être descendu.

PAÏEN  fut déconcerté, car personne n’avait voulu répondre à son appel à l’Hôtel. Une voix informatée lui avait transmis un message inquiétant ; Hyt KOULADYB  quitterait HOUBLON  demain matin, et exigeait un rendez-vous unique entre 15 et 16 heures - l’heure rouge ! PAÏEN eut alors la certitude que Monsieur KOULADYB était furieux, et qu’il lui faudrait faire preuve d’une inventivité d’esprit pour parvenir à faire ployer le vieux chêne. Il fit un détour par le secrétariat pour annuler tous ses rendez-vous d’avant, pendant et après l’heure rouge, se justifiant à la mine déconfite de Betty d’une autorisation exceptionnelle de la commission financière. Il crâna comme à son habitude en partant : « Le Chêne et le Roseau, vous connaissez ? Pliez mais ne rompez point, c’est votre fonction... »

Il enchaîna son premier tour des administrations avec le bureau des transmissions. Il désirait que Monsieur KOULADYB reçoive un courrier rapide lui annonçant la confirmation de son rendez-vous avec le Docteur Pierre PAÏEN  de l’aile neurochirurgicale et responsable adjoint du Professeur MOREAU . Quand il exposa sa requête au responsable des transmissions, un gars rougeaud répondant au nom de Max, celui-ci sursauta en entendant un sifflement aigu provenir de sa console d’orditel. Des voyants rouges s’étaient allumés un peu partout, et PAÏEN, impressionné, oublia qu’on venait de lui couper la parole. « Nom de nom ! jura Max. On essaie d’infiltrer les fichiers depuis un appel extérieur ! Faut vraiment être fêlé pour croire ça possible ! » Et comme Max s’affaira à localiser l’appel, PAÏEN demanda de quels fichiers il était question. Max eut le petit sourire du chasseur sur le point de débusquer sa proie. « A vous j’peux vous l’dire, Docteur. Ca concerne votre secteur ! Y’a un p’tit malin qui s’amuse à demander des infos privées sur le Professeur MOREAU depuis l’Hôtel PIXON. Si j’préviens les flics, il est cuit !

- Ne faites pas cela, éclata PAÏEN qui venait de comprendre ce qu’il se passait. Y a-t-il un moyen de nous assurer de l’identité du pirate ?

- Il a signé sa propre demande sous le nom de Hyt KOULADYB . Les numéros d’accès sont corrects, mais on ne peut pas...

- Vous devez laisser Monsieur KOULADYB interroger les fichiers. C’est un cas de force majeure, comme dans LA FONTAINE.

- J’ai pas l’autorisation...

- J’en prends la responsabilité. Pouvez-vous le faire patienter entre chaque demande ? S’il était possible de filtrer les informations avant de les lui transmettre, voire d’en insérer d’autres, vous n’aurez même pas à vous inquiéter de l’entorse au règlement que je vous demande.

- C’est que c’est privé tout de même, Docteur. Le secret médical...

- JE SUIS le secret médical. Vous pourrez faire un rapport sur ma prise de responsabilité quant aux informations que vous transmettrez à Monsieur KOULADYB. Que demande-t-il exactement ?

- La nature de l’attaque du Professeur MOREAU  d’il y a trois jours. Il doit commencer à trouver le temps long...

- Faites le patienter avec un écran d’accueil personnalisé ; « Bienvenue Monsieur KOULADYB et tout le toutim’ » Sécurisez-le, je réfléchis... »

Max grommela pendant que PAÏEN  pesait l’enjeu. Si je dis la vérité à KOULADYB, il trouvera cela si impensable qu’il voudra en savoir plus. D’un autre côté, si je mens en dédramatisant l’état du Professeur MOREAU , il décidera de remettre sa visite à son prochain passage à HOUBLON , aux calendes grecques, et je pourrai dire adieu à mon entrevue avec Monsieur KOULADYB. Une infection cérébrale ne pourrait pas passer pour sérieuse dans notre établissement et...

« Alors, j’fais quoi moi ? s’impatienta Max. Vous voulez faire passer mon service pour un logiciel de musiques d’ascenseur ? » PAÏEN  pensa trouver un compromis acceptable. « Transmettez: Attaque d’ordre neural suite à surmenage. Etat stationnaire, stabilisé. Repos illimité prescrit jusqu’à amélioration sensible. PHR, NeuroFlesh, Tranxène. Fin de transmission. »

Il y eut quelques secondes d’attente angoissantes. PAÏEN  était curieux de savoir si ces informations allaient étancher la soif de l’architecte. Après un bip, Max reprit la parole: « On passe à vous Docteur. J’lui refile tout c’que j’ai ? » PAÏEN sentit un frisson glacé lui parcourir la nuque. Il va me rendre parano, le grand créateur de sites... « Que veut-il savoir à mon sujet, Max ?

- Votre fiche de parcours. Qu’est-ce que j’envoie ? On ajoute LA FONTAINE ?

- Envoyez tout. Ne touchez à rien. Pourquoi vous me parlez de LA FONTAINE ?

- C’est vous qui m’en avez parlé, Docteur. En arrivant. » ajouta Max en enfonçant la touche Enter de son gros index boudiné. PAÏEN  se sentait sondé, comme un écolier pris en faute, en faute de quoi? Il savait son propre dossier irréprochable, mais fut inquiet d’en savoir moins sur son interlocuteur que lui n’en saurait à son propre compte. Avant de décider d’une visite à la Bibliothèque Universitaire, il insista à l’adresse de Max: « Transmettez parallèlement à ses recherches à Monsieur KOULADYB que son rendez-vous avec le Docteur PAÏEN est confirmé pour 15 heures, et qu’un chauffeur viendra le chercher à l’Hôtel PIXON un quart d’heure avant. Je veux un pli spécial, avec coursier et tout le toutim’...

- Et tout le toutim’. » ironisa Max. PAÏEN  ne s’attarda pas dans le bâtiment logistique, et traversa la grande cour du Campus fleuri pour gagner la Bibliothèque.

 

A la Bibliothèque de l’Université, PAÏEN  demanda une liste complète des ouvrages d’Hyt KOULADYB , ainsi qu’une notice biographique. Le Docteur Pierre PAÏEN  avait gardé la vieille habitude de travailler avec des supports papiers, coûteux mais tellement plus modulables. C’était là sans doute une nostalgie des odeurs de l’imprimerie de son grand-père, à ANAMPE, mais il trouvait tellement plus délectable de feuilleter un livre et d’en lire des passages absolument au hasard, plutôt que de faire défiler page après page un document sur écran. Il aimait griffonner, annoter, plier et mélanger, reclasser et archiver des tonnes de papiers, dégradables mais tellement plus libres... En se référant à la liste imprimée, il pouvait emprunter à la Bibliothèque de l’Université près d’une vingtaine de volumes, tous formats confondus, et chercha bien vite un petit chariot du coin de l’œil pour emmener tout cela dans ses bureaux. Il ne pourrait jamais tout emporter, car, sur la notice bibliographique du volume le plus récent, il nota que Hyt KOULADYB avait aussi signé un grand nombre d’articles dans les plus diverses revues, des préfaces, des postfaces et des introductions, et dirigeait la collection SPIRITU SANCTI chez DINGHARDT PRESS EMPIRE. Le petit chariot à roulettes était déjà bondé, et le Docteur ne trouva personne de suffisamment aimable pour l’aider à pousser tout cela jusqu’à la Clinique. Sur le chemin, il pensa je suis le roseau poussant comme Sisyphe un fatras d’idéologie au sommet d’une montagne nommée Paranoïa. Qu’est-ce qui me prend de me comporter comme cela ? Pourquoi ai-je si peur de la visite de Monsieur KOULADYB?

Il le savait très bien. Si KOULADYB découvrait les tenants et les aboutissants du projet ONIROSCOPE , il pourrait le définir comme dangereux, et couper tout un tas de subventions. Il prendrait pour innocente victime des méfaits de la Clinique le cas du Professeur MOREAU , et c’en serait fini de tout un pan de la carrière du Docteur. Dans le monte-charge, PAÏEN  se sentit comme au sommet non pas d’une montagne, mais d’une sourde angoisse. Il revoyait devant ses yeux le visage horrifié d’André MOREAU  au sortir de la première et seule concluante expérience du projet. Il savait qu’ils avaient tous joué avec le feu, et qu’ils n’étaient pas prêts pour affronter cela. Cela avait marché, mais nul ne s’était avisé de visionner les bandes digérées par l’interface CBI . Pas avec le légume qu’était devenu André MOREAU, prostré dans une chambre voisine. C’était pour PAÏEN aussi bien une question d’éthique que de véritable dégoût.

PAÏEN  n’avait pas le temps de parcourir les livres de KOULADYB, et ne voulait pas trop en faire non plus. Il toisa la pile de livres empruntés, dégarnit d’autant tout une étagère de sa propre bibliothèque pour y placer, subtilement présente, cette bibliographie quasi complète de Monsieur KOULADYB. Sur la notice biographique que le terminal lui avait transmis ne figuraient que des dates de chantiers dans tous les pays du Monde, des réorganisations de trafic, des monuments, des institutions publiques et des banques privées, des prisons expérimentales et des écoles maternelles, des brevets de revêtement d’autoroute et de bâtiments, des plates-formes pétrolières, et l’Université Clinique de HOUBLON , dix-huit années auparavant. Il voudra rénover, faire le ménage et la chasse au Gaspi’, comme dans les Animaux Malades de la Peste - mangez moutons canailles sottes espèces ! Mais pourquoi diable KOULADYB voulait-il particulièrement voir MOREAU ? Et PAÏEN, pour la première fois depuis plus de cinq ans, fit des doigts le geste machinal de se rouler une cigarette. Merci à BETELA de nous garder de la Tentation...

Prochain épisode :

Episode 10 : 3.Invocations / Hyt KOULADYB - Pierre PAÏEN

 

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PIERRE PAÏEN

Son EPISODIE

Première partie : Racines au pouvoir

1. L'Abomination

Episode 01

3. Invocations

Episode 09

Episode 10

Deuxième partie : Le Volcan dans l'Océan

4. Fondations

Episode 13

6. Manipulations

Episode 20

Episode 24

 BIBLIOGRAPHIE

Hyt KOULADYB

-« Propos et ajouts de nos classes dirigeantes » 1958

-« La vérité devant soi » 1960

-« La collectivité moderne ; notes des chantiers d’Amérikkke Latine » 1962

-« L’effet LIVERPOOL ; en collaboration avec Brian ONE » 1965

-« Change it! - un hymne à la Liberté » 1967

-« Entretiens avec Tahab MANDJELPOOR » 1968

-« Génération Liberté » 1973

-« Physique du géopolitique » 1973

-« Sables et marées - poésies » 1976

-« Les chemins du Sacré et du Profane » 1978

-« L’homme cybernétique - roman » 1979

-« Propagation et phénomènes de masse » 1981

-« L’effet HOUBLON  ; en collaboration avec Brian ONE » 1984

-« Initiation à l’intelligence active ; mieux vivre et mieux connaître son être Intérieur » 1986

-« Positions politiques du nouveau matérialisme » 1989

-« Perfectionnement des arts ; le projet Musée du Monde » 1990

-« Spéculations positives avant l’An 2000 » 1991

-« Traditions et Culture Mondiale » 1994

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