OKéANOS

Episode 17

HYT KOULADYB / Pierre PAÏEN

OKéANOS

5. Initiations.

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BANDE-SON

Hyt KOULADYB avait revisionné avec le Docteur PAÏEN et l’administrateur Xavier ILTCHINE le rêve lucide que l’ONIROSCOPE venait d’enregistrer. C’était saisissant, bien que le processus général de traitement des informations pouvait être encore amélioré. L’ensemble de l’expérience était très excitante, les applications nombreuses. Quand PAÏEN, très enthousiaste lui aussi, lui apprit qu’on pouvait tout aussi bien lire un enregistrement en le visualisant sur écran qu’en dormant, ç’avait été le pinacle. Le Docteur PAÏEN et le Professeur MOREAU venait bel et bien de préparer le terrain à la réalisation d’un fantasme scientifique. Hyt KOULADYB était très fier d’avoir été la clé de voûte à la réussite de l’expérience. PAÏEN camouflait d’enthousiasme son embarras d’avoir plongé pour rien le Professeur MOREAU dans la folie. ILTCHINE restait silencieux ; il semblait ne pas croire en la fiabilité de l’expérience, et ne se prêta pas au jeu que KOULADYB et PAÏEN menaient, emportés par des spéculations de plus en plus hardies. Il les écoutait en se tapotant les doigts, le regard intérieur et tourné vers le sol.

« Quelque chose semble vous tracasser, Monsieur ILTCHINE ? demanda l’architecte, l’air moqueur.

- C’est que... je serais d’avis de renouveler l’expérience avec un panel plus conséquent de rêveurs lucides. Nous devrions suivre un programme scientifique rigoureux et secret avant d’exposer la moindre des applications possibles, ne croyez-vous pas ?

- Vous considérez que le rêve que nous venons d’enregistrer n’est pas suffisamment impressionnant ? Nous venons de trouver le moyen d’enregistrer toute forme d’inspiration avec une qualité de restitution bien supérieure à celle de la mémoire humaine ; sous vos yeux je viens de modéliser la ville idéale qui hante inconsciemment mes projets depuis que je professe en qualité d’architecte, et vous estimez que le secret va pouvoir être maintenu le temps d’un long et coûteux programme scientifique ? Où est passée votre audace, Monsieur ILTCHINE ? Ce que je crois, c’est que cette invention a suffisamment été éprouvée, n’est-ce pas Docteur PAÏEN ?, et qu’il nous faut au plus vite déposer un brevet pour nous en garantir le monopole d’exploitation. Si une partie de cette découverte venait à tomber dans l’oreille du moindre politicien, je peux vous assurer qu’il s’agira ensuite d’une course contre la montre, à celui qui déploiera au plus vite cette invention dans toute la splendeur de ses applications possibles, et adieux les bénéfices ! La FONDATION DANSTLINGER ne peut pas se permettre de laisser s’échapper cette chance de se constituer un monopole tant original que révolutionnaire, Monsieur ILTCHINE. Vous ne le pensez pas ?

- Je suis d’accord avec Monsieur KOULADYB, Monsieur ILTCHINE. souligna le Docteur PAÏEN. Les industries CBI de GERMINSTON qui nous ont fourni le logiciel de restructuration onirique, l’Université Clinique, l’équipe entière du Professeur MOREAU, moi-même, nous représentons autant de risques de fuite. Si nous pouvons renouveler l’expérience avec un autre rêveur lucide, soit. Mais amenez-le nous sur le champ, et mettons tout l’édifice en branle pour lancer une première expérience officielle. Ou bien tâchons d’organiser une conférence de presse avec tout le tralala habituel des jurys de récompenses scientifiques. Peu importe, mais agissons tant que l’événement est chaud. L’Université Clinique, la FONDATION DANSTLINGER et Monsieur KOULADYB sont les principaux bénéficiaires du dépôt d’invention, c’est tout ce qui importe d’officialiser au plus vite. »

Jusqu’alors contenu, les lèvres pincées, Xavier ILTCHINE rompit sa retenue abruptement, comme si les mots lui brûlaient la langue.

« Je refuse, Docteur, que cet enregistrement serve de prototype à une présentation de l’expérience au grand public. En ma qualité d’administrateur de la FONDATION DANSTLINGER sur HOUBLON, comme en être civilisé. Nous pouvons nous entendre en tant que tels, n’est-ce pas Docteur ? Ce qui me gêne terriblement, c’est cette image de tapis volant au blason DANSTLINGER. Elle laisse présager un retour du traditionalisme musulman, voire peut-être une secrète tendance pro-musul’, refoulée sans doute, dans l’esprit de Monsieur KOULADYB. » L’architecte laissa apparaître sa stupeur. Il n’interrompit toutefois pas l’administrateur, qui avait tout l’air de se vider d’une intense frustration contenue depuis longtemps. « Vous savez comme moi combien la FONDATION a permis à Monsieur KOULADYB de se forger une image politique irréprochable après la guerre contre le BENAKISHMOUR. C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous permettre de véhiculer de tels symboles, surtout dans le cadre d’un événement de cette importance. Notre travail est d’œuvrer dans tous ces pays victimes de la tyrannie musul’, et leur enseigner les valeurs du Monde Libre. Notre mission est d’éduquer, pas de retourner au Moyen-Âge et à la superstition. Cet appareil n’est pas un parc d’attractions virtuel, comme vous semblez l’oublier vous et Monsieur KOULADYB. Ce n’est pas un jouet qui nous permettrait de nous amuser avec les fantasmes de nos petits camarades, non Docteur ! C’est un appareil scientifique, grâce auquel une thérapie et un enseignement accéléré peuvent être possibles... L’île dans laquelle s’est amusé à jouer votre sommeil vagabond, Monsieur KOULADYB, n’est qu’un rêve, mais le Monde, Docteur ! Le Monde ! »

A sa façon, ILTCHINE aussi était très excité. Son laïus avait fait grimper sa voix d’une octave. KOULADYB le regardait gravement, les yeux noirs d’un juge et bourreau. ILTCHINE en avait trop dit pour s’arrêter. Il agrippa la blouse de PAÏEN, mit la main dans la poche et en sortit le magazine ALL STARS consacré à l’architecte et à la démolition minutieuse de son image. « Voyez ! Nous sommes déjà attaqués de toutes parts par un improbable ennemi ! Le magazine ALL STARS n’appartient pas à un groupe concurrent, nous détenons même quelques parts minoritaires dans leur groupe de presse. Alors pourquoi cette soudaine campagne de dénigrement ? Croyez-vous que votre image, Monsieur KOULADYB, souffrirait d’être taxée de propagande musul’, quand une aussi incroyable découverte est mise en chantier ? Je reste persuadé que c’est un piège, Monsieur KOULADYB. Quelque chose vous force à agir dans l’urgence et ainsi vous faire commettre d’irréparables erreurs. Suivez plutôt mon conseil. Déposez votre nom sur le brevet d’exploitation si vous le désirez, mais retirez-vous en douceur du projet. Laissez faire la diligence de la FONDATION et l’intelligence de l’équipe du Docteur PAÏEN pour établir ce programme de recherches. C’est une question de... de... » ILTCHINE hoqueta par trois fois, puis s’effondra en sanglots courts et spasmodiques. KOULADYB, magnanime, posa la main sur son épaule droite. Le Docteur PAÏEN admit qu’ILTCHINE avait raison, qu’ils s’étaient laissés emporter par un enthousiasme puéril. KOULADYB fit mine d’approuver l’avis sage et pondéré de son administrateur, victime d’un passager effondrement nerveux.

Pour rassembler les esprits, Pierre PAÏEN proposa alors à Messieurs ILTCHINE et KOULADYB d’aller boire un café à l’Espace Restauration Tabac Jeux Librairie. KOULADYB les suivit, et demeura quelques pas en arrière, en feuilletant le dossier qui lui était consacré dans le magazine. Sur le chemin, PAÏEN, en bon psychologue, poursuivit ILTCHINE d’un discours compatissant. « Je comprends parfaitement votre point de vue, Monsieur ILTCHINE. Si vous estimez qu’il s’agit aussi de politique, je pense que Monsieur KOULADYB sera ravi de créer un nouveau rêve lucide plus adapté à une démonstration publique. Je me prêterai à cette expérience avec joie. Et j’accueille avec bienveillance la proposition d’aide au développement que la FONDATION DANSTLINGER et vous m’offrez. Nous avons toujours travaillé ensemble, c’est la moindre des choses... » ILTCHINE parut soulagé. PAÏEN poussa les portes de l’Espace Cafétéria et le fit passer devant lui.

Il régnait dans l’Espace entier un impressionnant silence, uniquement ponctué par les commentaires d’un murécran. Tous les regards, du personnel comme des visiteurs et des patients, étaient dirigés dans le même sens. Lorsqu’ils entrèrent, PAÏEN et ILTCHINE crurent qu’on annonçait la mort d’une importante personnalité. Le portrait du Député européen Adrian BETELA revenait sans cesse, ponctué d’images qui glacèrent le sang des deux hommes, tandis que l’architecte les rejoignait et se plaçait à son tour devant l’écran géant. Un hélicoptère filmait une île, sombre, recouverte de reflets bleus nuit. En fait d’île, c’était un volcan gigantesque, aux reliefs torturés et mouvants. KOULADYB reconnut parfaitement l’endroit, et crut que le songe qu’ils venaient d’enregistrer faisaient déjà la une des informations. Mais il n’était pas fait mention de l’ONIROSCOPE.

Ce n’était pas un événement, mais une suite extraordinaire de plusieurs ; c’était de l’actualité à l’état brut, chauffée à blanc. C’était l’Histoire en marche. En plus de l’île volcanique qui avait pris place en plein Pacifique, et des opérations de sauvetage du Député BETELA qu’on savait en mer dans l’épicentre du séisme, on faisait état des nombreux tremblements de terre à répétition qui ravageaient la côte Pacifique des deux continents Amérikkkains. La Cité des ANGES était à présent une terre dévastée séparée du reste du continent. Les morts s’estimaient par centaines de milliers. Et le Député BETELA, qui venait d’être retrouvé naufragé sur les flancs du volcan marin, et qui, semblait-il, avait mis le pied le premier sur cette terre nouvelle émergée en plein milieu de l’océan, en devenait ainsi le propriétaire exclusif, selon les textes de lois de la Commission du Monde Libre. La teneur de l’actualité privilégiait les prises d’initiatives plutôt que les simples commentaires. Actuellement sur le murécran, Sir Julian BLANDERDASH, directeur des industries pharmaceutiques G-II FARBEN mais aussi membre fondateur avec BETELA de la Ligne Aticale, transmettait son appel aux volontés les plus constructives pour faire de cette île aride un havre de félicité et de progrès.

« Cette île n’est qu’un rêve, avez-vous dit... » Le ton de PAÏEN aurait pu être ironique et moqueur. Mais il était lui-même bien trop effrayé par ce que cela signifiait. Il comprit mieux l’aphasie du Professeur MOREAU. Car cet événement semblait indiquer que l’ONIROSCOPE était capable de transformer l’imaginaire en réalité. Cela dépassait l’entendement scientifique, et ne pouvait pas même théoriquement être démontré. ILTCHINE était blanc comme un linge, et tremblait comme une feuille. PAÏEN prit énormément sur lui pour avoir la force de détourner ses yeux du murécran, faire s’asseoir ILTCHINE et commander trois grands cafés noirs à l’automate à pièces. « Qu’allons-nous dire, Monsieur KOULADYB ? Qu’allons-nous dire ?» ne cessait d’ânonner l’administrateur.

KOULADYB était très intensément troublé, et seule la mise en marche de quelques réflexes mentaux lui évita de céder à la panique. Le TAMA YOGA faisait son office en lui, comme il était assailli par l’intensité d’une soudaine introspection. Que se passait-il ? Il était certain de n’être plus en train de rêver. Alors comment pouvait-il avoir rêvé d’un lieu qui avait semblé sortir au même moment du néant ? Seule une hypothèse lui parut satisfaisante. Il chercha ses acolytes du regard pour la leur soumettre, mais ILTCHINE ne détournait plus les yeux du murécran, et PAÏEN remuait son café par d’incessants et nerveux coups de poignet. Le Docteur avait l’air encore plus agité que l’administrateur, et semblait l’être d’avantage d’une seconde à l’autre. PAÏEN leva alors les yeux vers Hyt KOULADYB, et s’élança hors de la Cafétéria en lâchant : « Je dois tout débrancher. Maintenant. »

KOULADYB ne chercha pas à le suivre ni l’arrêter. Il s’assit aux côtés d’ILTCHINE, et entreprit de lui exprimer son hypothèse. Elle était typique du personnage. Son rêve lucide, peut-être en étant combiné à la machine, l’avait directement relié à la sphère collective de l’inconscient, l’Agorapsyché comme il l’appelait dans ses cycles de conférences. Et, en rêvant, il s’était branché à une prémonition rendue intense par l’imminence de sa réalisation.

« Oui, c’est sans doute cela, Monsieur KOULADYB. Je vous demande pardon d’avoir été injuste envers vous. C’est que vous me sembliez oublier les règles les plus élémentaires de la santé publique. Votre explication me conforte dans l’idée que nous ne devons pas faire connaître cette machine tant que nous ne la contrôlerons pas plus.

- J’ai fini par être d’accord avec vous. Mais il va nous falloir déployer un système de sécurité industrielle à toute épreuve si nous voulons que cela nous rapporte comme il se doit. Le Docteur PAÏEN vient de nous quitter l’air perturbé. Allons le rassurer, voulez-vous ? Appelez donc une Betty pour nous escorter dans ces couloirs, je ne me souviens plus du numéro de la salle... »

 

Arrivé en salle EXP 42, le Docteur PAÏEN entreprit une fois de plus de débrancher l’appareil, comme il l’avait fait après l’expérience dramatique du Professeur MOREAU. Il regrettait de ne pas avoir suivi son intuition première, tout abandonner et ne rien dire à KOULADYB. La façon dont il avait été forcé n’avait rien de scientifique. Le corbeau et le renard ; il s’était laissé mener par le bout de sa barbe par plus influent que lui. Il débrancha les fils des différents capteurs, éteignit le réseau informatique de la salle EXP 42, et déconnecta l’ONIROSCOPE du secteur. Toutefois, en tirant sur la grosse prise, PAÏEN savait que cela ne servirait à rien. Le logiciel était équipé d’une batterie interne d’une autonomie de plusieurs années. En enroulant le câble électrique, PAÏEN savait qu’il ne faisait que couper du Monde la menace incompréhensible qui hantait l’appareil, une menace abominable sans doute créée par le cauchemar d’André MOREAU...

Dans ces conditions, que dire, en effet, de cette invention ? Comment s’expliquer à soi-même cette simultanéité des événements, cette île rêvée par l’architecte comme son Utopie, et qui apparaissait au milieu des eaux du Pacifique en fracas tectoniques d’une impressionnante ampleur ? Dans cette salle, le Docteur eut l’impression de se trouver au véritable centre du Monde, là où l’essentiel s’était produit. Les lieux étaient chargés comme d’une sourde malédiction. Il repensa au cauchemar de MOREAU, aux prophéties de sa grand-mère qui avaient fait l’objet de ses premières et plus profondes peurs, et qui avaient servies de fondement à la trame psychoactive qu’il avait expérimentée. Si l’ONIROSCOPE réalisait ce qui y était rêvé, un véritable démon s’était éveillé. Voilà sans doute la révélation qui avait plongé MOREAU dans cette catatonie de plomb. Bien qu’il trouva là une clé pour sortit le professeur de son état de choc, PAÏEN se sentit terriblement tenté à son tour de plonger dans l’abîme sans fond de la folie. Et il revit en pensée l’image terrifiante du corps privé de tête trônant dans le palais de l’île onirique de KOULADYB. Voilà bien la folie, un corps privé de tête, une matière dénuée de conscience, mais agissant tout de même. A l’instar du corps scientifique pour lequel je travaille. Ruine de l’âme...

Tout comme il savait que débrancher l’appareil ne suffisait pas, il réalisa qu’effacer l’image du corps sans tête à la demande de KOULADYB n’avait pas anéanti l’abomination. Il en restait forcément une trace dans la mémoire tampon du « refouleur », là où toutes les opérations s’inscrivaient sous forme condensée dans la matière informatique de la machine. « Plonger à nouveau », oui, quelle porte de sortie idéale pour une telle invention. La terreur céda le pas à la colère. PAÏEN sentait les barrières de son esprit vaciller, puis son mode de comportement explosa comme il se saisit d’une chaise et la souleva à bout de bras au-dessus de l’appareil pour tout fracasser. Mais une voix « NON DOCTEUR PAÏEN » s’éleva comme Betty entrait dans la salle accompagnée de Monsieur KOULADYB et de Xavier ILTCHINE. Elle empoigna PAÏEN par les épaules et le força à lui faire face et se détourner de l’ONIROSCOPE. Il vit le visage de Betty terrifié, mais d’une violente beauté dans sa détermination à protéger l’appareil, et son supérieur de sa propre folie. Il resta figé un instant, le regard furieux et les bras en l’air, puis laissa retomber la chaise derrière lui, faiblement, et s’effondra en larmes. « Trop tard... Je ne pourrai plus... Je ne pourrai plus... »

Betty amena Pierre PAÏEN à la salle de repos du personnel. Abattu et agité, semblant lutter pour ne pas perdre la raison, le Docteur tremblait et demanda qu’on lui administre un calmant. Dans le couloir, ILTCHINE, KOULADYB et quelques membres de l’équipe neuropsychiatrique attendirent que Betty leur annonce que PAÏEN dormait. KOULADYB sentait qu’il lui fallait agir avant que les rumeurs ne se répandent. Il ne faisait que moyennement confiance à l’application des règles d’éthiques de la Clinique ; l’agression aux journalistes lors de son arrivée à HOUBLON en était un avertissement. « Betty ! demanda-t-il. Rassemblez sur-le-champ toute l’équipe du Professeur MOREAU. Xavier ILTCHINE et moi-même avons des décisions à prendre avec vous tous. Que ceux qui se trouvent dans ce couloir avec nous remplissent le formulaire d’identification et nous suivent salle... salle combien Monsieur ILTCHINE?

- EXP 42. Juste à côté.

- Merci. Pour vous faire remplacer, lancez la procédure d’urgence utilisée pendant l’heure rouge. Prévenez le responsable de la sécurité informatique qu’il isole cette aile de travail des autres. Et attendez-vous tous à passer quelque temps ici, pendant quelques nuits blanches. » Et il ajouta sur le ton humoristique qui lui avait fait défaut depuis les assauts de ses migraines passées : « Mais rassurez-vous, vous pourrez dormir tout votre compte, je vous le garantis... »

 

Il était normal qu’on ne désobéisse pas à Monsieur Hyt KOULADYB, qu’on ne discute pas ses propositions qui étaient des ordres. Il était après tout le chef financier et administratif du bâtiment. Il était chez lui. C’était étrange pour l’architecte de sentir cela, lui qui n’avait jamais eu de véritable lieu de résidence, qui courrait à travers le monde comme la lame d’un chirurgien esthétique. C’était d’autant plus déroutant qu’il trouva cela plaisant, sans doute pour la première fois de sa vie, d’être contraint de rester plusieurs jours au même endroit. C’était sans doute qu’il savait au fond de lui que cela ne durerait pas, qu’il finirait pas voyager jusqu’à cette île pour y œuvrer comme jamais. La moindre terre vierge, comme ces kilomètres carrés arrachés à la forêt amazonienne au siècle dernier, représentait toujours un challenge fascinant pour un bâtisseur. Il se rappela avoir déjà conçu des programmes d’urbanisme dans les îles polynésiennes où des terres volcaniques pouvaient s’ajouter à l’archipel à tout moment. Mais là, non seulement il avait rêvé l’île, mais il l’avait déjà en pensée nivelée et modélisée, et le tout était déjà enregistré dans les entrailles d’une formidable invention. Oui, il serait celui qui répondrait à l’appel de la Ligne Aticale pour faire de l’île le phare du Monde Libre. Il en serait l’architecte, c’était son destin. Tout son esprit avait toujours été tendu vers cette Utopie ; à présent qu’elle était réalisable, l’ampleur de l’œuvre lui parut à la fois démesurée et à sa seule mesure. Cette synchronicité était pour lui, rien que lui.

Tandis qu’il se dirigeait vers la salle EXP 42, suivi des quelques infirmiers témoins de la crise de PAÏEN, KOULADYB demanda à ILTCHINE de prendre ses dispositions auprès de la FONDATION. « Faites en sorte qu’on vous remplace pendant les sept prochains jours à compter de maintenant. Gelez toutes les décisions importantes en matière de financement. Et demandez qu’on nous fasse heure par heure un contenu détaillé des informations relatives à cette île et au Député BETELA. Betty, faites-moi porter mes affaires que j’ai laissées à l’hôtel PIXON, et réglez ma note. Libérez nous quelques chambres individuelles, nous prenons racine... »

Un quart d’heure plus tard, KOULADYB annonça à l’équipe entière du Professeur MOREAU la bonne nouvelle de leur réussite. Il expliqua l’état du Docteur PAÏEN par un surmenage soudain et une excitation trop intense. Quand il parla du projet qui les attendait tous, les réactions furent au début assez incrédules, puis de plus en plus partagées. Certains osèrent même dire qu’ils ne recevraient d’ordre que du Docteur PAÏEN, surtout après la crise de folie qui l’avait frappé, ainsi que pour le Professeur MOREAU. C’est ILTCHINE qui trancha la question de la manière la plus virulente.

« Nul ne vous demande l’impossible. Il s’agit d’un programme scientifique, non d’un caprice. Mais comme vous le savez, cette invention est à même de révolutionner un nombre considérable de secteurs cognitifs. Vous avez vu l’actualité je suppose ? Ceux parmi vous trop pleutres pour entrer dans l’Histoire par la Grande Porte ne devraient pas même travailler ici, lieu de tous les challenges et toutes les innovations scientifiques. C’est un travail à votre mesure qui vous est demandé, rien de plus. Et qui plus est contractuel, vous ne pouvez pas vous défiler. Quant à savoir qui doit décider ou non, sachez que Monsieur KOULADYB et moi-même sommes à l’origine de la réussite de ce projet, qui aurait honteusement pu finir au « placard des idées scientifiques trop audacieuses », dont j’ignorais qu’il en existait un ici même. Sans notre intervention, sans la richesse d’esprit de Monsieur KOULADYB, votre équipe entière serait encore en train de trembler devant l’aphasie qui a frappé le Professeur MOREAU sans même chercher à la comprendre ou la guérir. Nous offrons aux réels chercheurs de cette équipe de quoi se rendre célèbres, et aux responsables de tant de pleutrerie de quoi se racheter. Nous ne tolérerons pas le moindre écart d’attitude, ne serait-ce que par mesure de sécurité. Nous avons demandé la mise en quarantaine de ce secteur, non pas pour une raison épidémiologique, mais par souci d’échapper à l’espionnage industriel. Votre responsable des transmissions - vous l’appelez bien Max ici aussi, non ? - vient de nous le confirmer : personne ne sortira d’ici avant cinq jours au mieux, comptez plutôt sur une semaine. Seule une ligne d’urgence que Monsieur KOULADYB et moi-même utiliserons est restée connectée. Des questions ? ...»

L’équipe accepta. Nul n’avait le choix. KOULADYB avait fait passer un feuillet où chacun devait inscrire ses noms, qualités et matricules, ainsi que ses fonctions précises dans le programme ONIROSCOPE. Puis chacun se présenta en entretien privé à l’architecte, tandis que ILTCHINE, reprenant du poil de la bête, élaborait le cycle de recherches avec le reste de l’équipe.

Pour KOULADYB, les visages se suivaient et se ressemblaient. Dans cette institution, le personnel lui-même était modélisé, selon des critères que d’autres entreprises avaient jugés peu fiables : morphologie, graphologie, phrénologie, astrologie, tarot, numérologie et psychologie des prénoms. Le résultat était saisissant par son absence d’exception. Finalement, c’était comme si tous, fiers de travailler dans ces secteurs de pointe, s’évertuaient à coller au modèle psychologique qui leur était attribué. KOULADYB savait qu’il s’agissait plus d’autosuggestion que de véritable science. De vrais agneaux, en fin de compte. Le travail allait bien avancer...

 

Max avait bouclé le secteur Recherche et Développements du service neuropsychiatrique. Il en ignorait la raison, mais savait que Hyt KOULADYB et Xavier ILTCHINE en étaient à l’initiative. Max connaissait quelqu’un qui pourrait lui acheter cette info au prix le plus fort ; il l’avait déjà contacté quand il avait appris le rendez-vous KOULADYB - MOREAU. Mais le journaliste Paul TRITTI ne répondait pas. Son cellulaire restait injoignable, et contacter plus ouvertement les réseaux d’informations pouvait être dangereux pour sa place. Finalement, guettant jour après jour les moindres communications allant et venant à la salle EXP 42, il laissa un message codé sur le vieux répondeur audio de Paul TRITTI.

Durant une semaine, on n’entendit plus parler de Monsieur KOULADYB. Le dossier sulfureux de l’hebdomadaire ALL STARS tombait à plat devant l’ampleur des derniers séismes et autres événements. La chose qui avait pris racines commençait à élaborer ses extensions.

HYT KOULADYB / PIERRE PAÏEN

Leurs EPISODIES

Première partie : Racines au pouvoir

1. L'Abomination

Episode 01

Episode 04

3. Invocations

Episode 08

Episode 09

Episode 10

Deuxième partie : Le Volcan dans l'Océan

4. Fondations

Episode 13

5. Initiations

Episode 17

6. Manipulations

Episode 20

Episode 24

Prochain épisode :

Episode 18 : 5.Initiations / Rowainrrr

La suite directe de la narration

Episode 20 : 6.Manipulations / Pierre PAÏEN

 

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