OKéANOS

Episode 20

Pierre PAÏEN

OKéANOS

6. Manipulations.

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BANDE-SON

Betty, la secrétaire au bureau d’accueil, enregistre l’arrivée d’un nouveau patient. Le Docteur Pierre PAÏEN s’est solennellement peignée la barbe en fleur. « Il a signé sa propre demande sous le nom de Hyt KOULADYB. » dit Betty au Docteur Pierre PAÏEN. « Il arrive tout juste de La Cité des Anges. » Le vieil homme se tient devant eux, petit, gauche, pleurnichant. Il a fait sous lui. « Mais il y a juste un problème Docteur. Il est mineur. C’est ce qu’il nous a dit vouloir. » Betty porte un bouquet de roses que le vieux petit garçon lui a offert. Etrangement pour PAÏEN, KOULADYB ne lui semble qu'à moitié présent. « Cher Monsieur, il s'agira tout d’abord d'être vous-même » lâche PAÏEN. « Car ici, ils vont vous donner du travail. » Les images qui se déploient dans l’esprit du Docteur sont impossibles. Un infirmier parait pour prendre en charge le petit vieux. « Installez-vous, IRIS est à côté.

- Qui cela?, demande PAÏEN.

- Qu’ai-je dit? » répond l'architecte, avant de poursuivre : « J’irai sans doute mieux après. J'ai fini par être d'accord avec vous, Docteur. J'ai l'impression d'avoir toujours connu des séismes, mais je n’en ai pas l'autorisation.

- J'aimerais tout d'abord savoir ce que vous a dit le Professeur sur l'ONIROSCOPE, cher Monsieur. » C'est bien une idée fixe pour PAÏEN. KOULADYB lui répond : « Je crois que... Je dois vous avouer que non, je n’en savais rien. Je m'évertuais d'user mes souliers dans les flaques d'eau des trottoirs de bitume glacé des rues d'ANAMPE. Mais je n'ai rien oublié, bien que je n'apprécie pas particulièrement. Mais je ne vois rien ici… Je pensais que sur présentations de mon passe, je pouvais les mots... »

- Je suis d'accord avec Monsieur KOULADYB, pense PAÏEN. JE SUIS le secret médical... Betty surenchérit : « Je suis pour ma part entrée à la Fondation par le biais du "Mouvement". » Soudain, PAÏEN l'embrasse sauvagement. « Je t'ai déjà chevauchée bien des fois. J'en prends la responsabilité. » Mais l'infirmier n'est pas de cet avis. « Je... J'suis désolé d'avoir à te dire ça vu qu't'es un peu le chef, mais... la nature de l'attaque du Professeur MOREAUd'il y a quatre jours... » PAÏEN excédé l'interrompt : « La procédure de l'expérience a été tronquée de sa part dangereuse et contraignante. Le Professeur MOREAU est lui-même entré en chaire à l’âge de vingt-trois ans. Qu'il prenne ses responsabilités !

- Comment cela ? surenchérit KOULADYB. Comment croire que ce n'est pas une malheureuse coïncidence de chez Computers Ordomaticspour élaborer un élément coordonnateur plus précis, conducteur, confidentiel ? Nous devons traquer cette coïncidence, la traquer dans les muscles et tendons les plus secrets de l'ONIROSCOPE débranché. » La machine affiche insolemment : délégué de l’équipe du Pr. M. dépt N. Dans les diodes de la machine du Professeur, comme Hyt les évoque, seules la discipline et la froide logique informatique sont une véritable nature.

 

Contrairement au songe qu'il venait de faire, les événements de la veille (la veille ? combien de temps ai-je dormi ?) étaient restés clairs dans l'esprit de Pierre PAÏEN, tout comme ses propres motivations. Vouloir détruire la machine, certes, avait été une erreur. Le mal, quel qu'il soit, était fait. Il lui fallait plutôt revisiter cette coïncidence ; trouver le lien entre le rêve lucide de KOULADYB et l'île émergée des eaux dans le Pacifique ; comprendre la machine, et ce qu'il s'était réellement passé au sein des opérateurs de sa programmation pendant ce rêve lucide. Guérir MOREAU aussi, du moins le sortir de son aphasie. Et il y avait une autre urgence qui se dessinait insidieusement dans l'esprit de PAÏEN, comme un irrésistible piège qui le fit frissonner de dégoût. La boîte de Pandore.

 

Il entendit dans le couloir l'inimitable pas d'une Betty, sans doute sa préférée, celle de l'équipe du matin. Un vague souvenir érotique et onirique trembla dans sa conscience. Il s'étira et se mit à son avantage en s'asseyant. Betty entra et sursauta légèrement en voyant le Docteur réveillé. « Docteur PAÏEN ! Comment vous sentez-vous ? Mieux, j'espère. Vous avez dormi... une dizaine d'heures d'affilée... Veinard ! ajouta-t-elle en souriant. Vous allez pouvoir reprendre le service normal, toute l'aile EXP 40 a été isolée sur ordre de Monsieur KOULADYB. Une semaine a-t-on dit. Monsieur ILTCHINE m'a assuré qu'il n'avait pas besoin de votre aide, et que les compétences de toute l'équipe du Professeur MOREAU suffisaient amplement pour utiliser les machines. Vous... vous n'y voyez pas d'inconvénients ?

- Non, merci beaucoup Betty. Et dites-moi, entre gens de la Clinique, votre véritable prénom, c'est...

- Oh Docteur ! »

Ainsi on l'évinçait directement du projet, sans qu'on lui laissât le choix. C'était peut-être mieux ainsi, mais il ne pourrait qu'assister, passif, à la suite des opérations si cela tournait mal. On entrait pas ainsi dans une aile d'expérimentation isolée. Restrictions de quarantaine, air et eau en vase clos, transmissions réduites à l'extrême... Que KOULADYB s'amuse !

Betty s'occupa de lui faire son check-up. Sa tension était encore un peu élevée, mais cela n'avait rien d'alarmant. PAÏEN fit tout son possible pour rester calme et aimable. Il mit à nouveau à profit les exercices de Tama-Yoga. Cela lui fit repenser à KOULADYB, toujours présent à la Clinique même lorsqu’il était à l'autre bout du Monde. Il me faut en comprendre d'avantage sur les rêves lucides. Si la Fondation DANSTLINGER les étudie en interaction avec l'ONIROSCOPE, je dois pouvoir comprendre ce sujet dans ma partie. Et saisir ce qu'en dit KOULADYB.

Tous les jours de cette semaine, il prenait normalement son service à 12 heures. A présent, l'heure du staff du matin était déjà passée, et il lui restait encore toute une partie de la matinée pour s'amuser à penser.

Il regagna son bureau, qu'il avait quitté la veille après qu'il eut présenté à l'architecte son programme de soins cérébraux. Cela lui paraissait vieux de plusieurs semaines. La pile de livres était toujours là, subtilement présente sur toute une rangée de sa bibliothèque. De tous les ouvrages, Initiation à l'intelligence active semblait être le plus proche du sujet qui l’intéressait. Mais cela n'avait à priori rien de scientifique. Pour PAÏEN, le jargon de KOULADYB était plus proche de l'ésotérisme que de l'épistémologie, même en voyant large. Et si l'on devait chercher à la lisière de la science, les étapes expérimentales, les exercices pratiques de rêves lucides et les jeux d'imagination pour développer ce qui était appelé l'Intelligence Active, n'avaient même pas le mérite d'avoir un rien de Jung.

Qu'aurait dit et fait MOREAU ? se demandait PAÏEN. L'évidence semblait vouloir lui crever les yeux et - à défaut d'être conscientisée - les tripes. PAÏEN se sentait pris de crampes d'estomac à chaque fois qu'il y pensait.

Dans le Chapitre 15 traitant des limites de la méthode, la plus grande partie traitait de la peur, celle de devoir affronter des vérités intérieures souvent terribles, celle de perdre la santé mentale, et la peur même de la peur, la crainte des cauchemars lucides et de la perte de contrôle de soi. PAÏEN parcourut ce qu'en disait le penseur :

« ... Nos habitudes impliquent un certain ordre dans la succession des choses, une vague cohérence de l'Univers. Or, voici que la réalité se propose à moi changée, irréelle. Quand un homme se réveille ou meurt, il met un certain temps à se défaire des terreurs du rêve, des préoccupations et des manies de la vie... »

Une vague cohérence de l'Univers, repensa PAÏEN. Oui, c'est bien ce qui me dérange tant. Ces expériences remettent trop en question la vague cohérence scientifique qui est ma grille d'interprétation du Monde. D'où la peur. Et la superstition. Là où je ne vois plus de science, je vois Dieu, ou le Diable ou peu importe...

 

« Je ne crois pas en Dieu, disait le petit Pierre à ses camarades de l'école de la rue Eléphantine à ANAMPE. La Religion, c'est juste un tas de mensonges. C'est mon père qui le dit et je pense qu'il a raison. »

Les petits camarades en question froncèrent des sourcils, reculèrent de quelques pas et se consultèrent avec fièvre, à voix basse, tout en jetant de nombreux coups d'œil dans sa direction. De toute évidence, il était leur premier athée dans cette école laïque d'un quartier chic de la capitale. Nous allons avoir un débat sur la divinité, se dit le petit Pierre, ils vont m'expliquer pourquoi ils perdent de si précieuses heures à genoux dans l'église Notre Dame De La Miséricorde, et ensuite, je tenterai de leur prouver combien il est idiot de se préoccuper d'un vieil homme à barbe blanche caché dans le Ciel. Contre toute attente, les disputes théologiques n'entraient pas dans leurs conceptions. Ils finirent de se concerter et revinrent vers petit Pierre, une lueur menaçante dans le regard ; puis tout d'un coup, les deux plus vifs se jetèrent sur lui. Il se faufila entre eux et se mit à courir. Ils avaient de longues jambes, mais petit Pierre était plus agile et connaissait le quartier comme sa poche. Il dévala la rue, obliqua comme une flèche dans une contre-allée, se glissa par un trou de grillage derrière le garage des voisins, rejoignit un sentier parallèle à sa rue puis rentra enfin s'abriter chez lui en refermant soigneusement derrière lui la porte de la cuisine, hors d'haleine. Les deux jours suivants, il rentra directement après l'école et resta sur ses gardes, mais les pieux enfants ne revinrent jamais châtier le blasphémateur. Depuis cet incident, j'ai toujours fait preuve de la plus grande prudence en matière de religion.

 

Curieux de repenser à ce moment de mon enfance, se dit PAÏEN. C'est sans doute ce qui est appelé dans le livre "La première vague impressionniste", quand l'esprit se remet à jouer à imaginer.

Ce souvenir lui faisait à nouveau penser à ce qu'il ne parvenait pas à faire taire dans son esprit. C'est finalement la même structure que le cauchemar de MOREAU. Poursuivi par une Meute de fanatiques. Sauf que je m'en suis plutôt bien sorti. Je ne suis pas devenu croyant pour autant ; j'ai toujours eu une prédisposition naturelle au scepticisme. "Ce qu'on ne peut mesurer n'existe pas". Cela n'inclue pas seulement le vieux barbon céleste et son fils, mais aussi tout le fatras mystique où les gens se sont vautrés pendant les années d'intense crédulité de ma jeunesse : les soucoupes volantes et les petits gris des dossiers X, le bouddhisme zen et la clique KOULADYB, l'Atlantide, la technotranse, la macrobiotique et la biosphère, la perception extrasensorielle, le culte de l'entropie et les Apocalyptistes, l'astrologie et j'en passe... J'accepte les neutrinos, les quasars, les exoplanètes, la dérive des continents et toutes les espèces de quarks parce que je respecte les preuves de leur existence ; mais je peux pas décemment adhérer à tout le reste. Je rejette en bloc l'irrationnel comme un nouvel opium des masses. Lorsque la Lune entre dans votre septième Maison... désolé, non merci.

 

« Je vous demande pardon, Docteur PAÏEN ? »

Son EPISODIE

Première partie : Racines au pouvoir

1. L'Abomination

Episode 01

3. Invocations

Episode 09

Episode 10

Deuxième partie : Le Volcan dans l'Océan

4. Fondations

Episode 13

6. Manipulations

Episode 20

Episode 24

Prochain épisode :

Episode 21 : 6.Manipulations / Paul TRITTI

La suite directe de la narration

Episode 24 : 6.Manipulations / Pierre PAÏEN

 

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