OKéANOS

Episode 21

PAUL TRITTI

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6. Manipulations.

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BANDE-SON

Lorsque le reporter Paul TRITTI, du célèbre hebdomadaire All Stars, avait été convoqué par Monsieur SEMPRIAQ, son rédacteur en chef, il avait craint tout d'abord que son plan d'article "Spot MANDLEBROT - les coulisses d'un défi" n'eut pas été apprécié. TRITTI n'avait pas encore reçu confirmation de sa publication dans le prochain numéro, et au vu de l'actualité, il se doutait qu'on se concentrerait d'avantage sur les séismes telluriques qui secouaient soudainement la planète. Le problème de TRITTI, c'est qu'il sentait intuitivement un lien entre MANDLEBROT le Champion controversé, le couple BETELA, et ces bouleversements chthoniens. Il lui était toutefois impossible d'étayer ses soupçons sans outrepasser ses droits de reporter. Il frôlait l'espionnage industriel. Il fallait en ce cas que SEMPRIAQ l'appuie totalement, en plus d'être sous la protection des avocats du journal. TRITTI ressentait toutefois quelques craintes à tenter de vouloir jouer dans la cour des Grands ; son rédacteur en chef faisait partie du beau linge, et était toujours très au fait des mondanités diplomatiques. Dans ces circonstances, être convoqué par SEMPRIAQ pouvait ressembler à un avancement, un avertissement, ou un coup de semonce.

 

En passant la porte, TRITTI était nerveux mais tenta malgré tout de prendre l'initiative de la discussion : « Monsieur SEMPRIAQ, j'espère que ma convocation ne vous est pas motivée par quoi que ce soit de désagréable...

- Cessez de faire le pitre Tritti et écoutez-moi. » fit SEMPRIAQ d'un ton sec mais sans animosité, debout derrière le bureau, les cheveux ébouriffés, la barbe hirsute. « Votre brouillon sur MANDLEBROT est intéressant, même si l'on n'y parle pas assez de sport à mon goût... mais l'actualité nous rattrape malgré tout. » Visiblement, SEMPRIAQ était fourbu d'avoir suivi au plus près l'actualité des séismes sur les côtes du Pacifique Nord, puis de la terre nouvelle émergée en plein océan et de sa découverte sensationnelle faite par le Député Adrian BETELA. L'effervescence n'était pas retombée à la rédaction depuis près d'une centaine d'heures. SEMPRIAQ - comme les autres TRITTI y compris - était sur les rotules, irascible, colérique, tordu et capricieux. « Aussi, après ce que vous savez, nous ne pouvons plus nous contenter de ce bref et ridicule aperçu sur MANDLEBROT, et toutes vos élucubrations sur un match prémédité comme meurtrier. C'est bien d'accord TRITTI ? ... Si j'avais su que ça finirait comme cela ... Bon ! Voilà ! Nous allons développer votre article en vue de faire un prochain numéro spécial sur MANDLEBROT. Vous avez déjà fait votre part de travail, surtout après nous avoir mis d'ici sur la piste des BETELAS à Tahiti, alors que Zylber n'a pas été foutu de donner signe de vie depuis les premières loges... » (Et pan pour le chouchou!, pensa TRITTI). « Mais j'ai toutefois un travail très spécial pour vous, Tritti. reprit SEMPRIAQ après avoir lorgné à travers les stores. Vous avez déjà fait vos preuves avec le dossier KOULADYB, et c'est le moment de l'épingler comme un trétratra, comme on dit chez nous. Pensez donc ! C'est lui qui a entièrement remodélisé La Cité Des Anges après les secousses de 1995, pour qu'elle soit plus sûre en cas de séisme... Et vous avez vu le résultat ? Non ?

- Vaguement Monsieur SEMPRIAQ...

- Eh bien... Eh bien vous allez le voir pour nous, Tritti. Je vous y envoie. Vous allez être aux anges ! Ah ah ah... »

Avancement ? SEMPRIAQ lui tournait délibérément le dos et regardait à travers ses stores son imprenable vue sur d'autres bureaux. C'était visiblement au tour de TRITTI de parler ou de partir en disant amen. TRITTI crut bon de faire ses propositions. « Monsieur SEMPRIAQ, si vous me permettez, j'aimerais rediscuter de cette offensive sur KOULADYB. Je reconnais que son influence dépasse un peu trop les limites habituelles des gros groupes industriels, mais de là à le faire passer pour un escroc ou un prévaricateur aux yeux de la loi, j'en doute. D'autant plus que ses liens avec BETELA ...

- Ses liens avec rien du tout, Tritti ! rompit brutalement SEMPRIAQ. Il me semble vous avoir déjà demandé d'oublier ces intoxs qu'on sert dans vos bouges d'informateurs véreux. Comment pouvez-vous étayer quoi que ce soit de ce lien avec BETELA ?

- Sir BLANDERDASH, Monsieur. Il est le Président des industries pharmaceutiques GII-FARBEN à Germinston et il a traité avec CBI, donc KOULADYB, pour les restructurations qu'on connaît. Je sais par un ancien mineur que l'équipe de G-II- FARBEN travaillait sur un gros projet, et qu'elle voulait l'automatiser au maximum pour éviter les fuites, l'espionnage industriel, tout ça ... KOULADYB est spécialiste de ces cas de figures, et je ne serais pas étonné qu'il ait réussi à placer un de ses soi-disant brevets à cette occasion.

- Arrêtez vous là, Tritti. Que BLANDERDASH ait fait appel à KOULADYB ne prouve pas qu'ils travaillent d'un commun accord. Et puis, quel est donc le lien que vous voulez dénoncer avec BETELA ? Une appartenance politique ? Sachez dans ce cas que je suis moi aussi en rapport avec BETELA, à ma façon, mais cela ne regarde que moi. Si vous préférez, Tritti, ce que je veux sur KOULADYB, c'est BETELA qui le veut ; et je ne parle pas au figuré. Aussi, servez-moi toutes les soupes que vous voudrez sur KOULADYB, sur son état de santé, ou d'éventuels vols de brevets, des malversations, des pots-de-vin et des délits d'initiés, je suis partant. Qualifiez-le de mourant, d'incompétent, foutez-lui des associations de victimes au cul, créez tous les scandales que vous voudrez bien imaginer, mais ne me parlez plus d'enquêter sur BETELA. Ou alors faites ça ailleurs, en free, mais n'utilisez plus nos putains de bécanes déjà surchauffées pour vos petites intrigues gauchistes. C'est bien compris, Tritti ?

- Certes, Monsieur, c'est... (Avertissement)

- Vous partez donc aux Anges. Recueillez-moi du pathétique. Je veux qu'on puisse faire pleurer. Pas besoin de vous affubler d'un photographe, vous faites ça aussi bien qu'un autre... Vos réservations sont prêtes au secrétariat.

- Bien, Monsieur.. (amen !)

- Ah, et puis, une chose importante... Grâce à quelques appuis, que j'ai en haut lieu n'est ce pas, vous aurez un contact aux Anges. Quand vous débarquerez, vous demanderez à voir l'agent de sécurité civile EARRING. Il vous fera passer les filtres anti clandestins.

- Les quoi ?...

- Filtres anti clandestins ! La milice quoi ! Vous pourrez en profiter pour lui demander ce qu'il en est... Un bon papier ça, les pillards ! Ne me remerciez pas. Fermez la porte en sortant. »

Avec le clic de la poignée, Paul TRITTI eut le sentiment étrange d'avoir malgré tout un train d'avance sur SEMPRIAQ. Celui-ci l'avait même reconnu à propos du sauvetage de BETELA. Il le sentait vieilli... La fatigue, sans doute. Paul aussi ressentait une certaine lassitude à devoir s'agiter parce que tout le monde s'agite. Il prit mécaniquement ses dispositions pour le voyage. A dix-neuf heures, il ne restait plus à TRITTI qu'à appeler sa vieille voisine Madame CORMEILLE pour venir nourrir son chat.

 

Le soir même, Paul TRITTI était ainsi parti aux Anges, devenus une petite île secouée de séismes locaux, isolée du reste du continent amérikkkain par un bras de mer gorgé de ruines. Le journaliste avait connu La Cite des Anges dans sa jeunesse ; c’était à l’époque une ville magnifique, au doux climat kalifornien. Après les légères secousses ressenties en 1995, on avait œuvré à moderniser encore la cité. Hyt KOULADYB lui-même avait garanti son travail de réhabilitation à l’épreuve des tremblements de terre. Après ce voyage en jet jusqu'à la côte ouest amérikkkaine, c’était un choc de revoir Les Anges, plus abîmés que s’ils avaient subi une série de bombardements. Ah ! On le tient, le vieux schadock ! Tu parles d’une garantie, tout est en ruines, tout est à moitié inondé ou englouti. C’était certainement plus qu’un désastre. On aurait cru voir les vestiges d'une cité maudite à la KLARKASH-TON. Depuis les côtes, entre les immeubles titanesques, engloutis les uns par les autres comme si le bitume s'était animé d'une voracité anthropophage, on pouvait deviner, sur les quelques terrains aplanis par des armadas de pelleteuses automatiques CBI, les toiles kakis et vertes des tentes des camps de rescapés. On pouvait accéder depuis la côte amérikkkaine à ce qu'il restait de la cité grâce aux services d'une petite compagnie privée de bateaux à moteurs ; bientôt, le tissu social se remettrai à fonctionner correctement, et de plus gros investisseurs viendraient organiser tout ce trafic. Et surtout pas KOULADYB, pensa-t-il en arrivant au débarcadère.

 

Dès le premier pas posé sur le sol spongieux et gras de la cité, une escouade de milice vérifièrent les passeports. Comme l'avait promis BLANDERDASH dans son élocution sur orditel, tous étaient des volontaires de la Ligne Aticale. TRITTI demanda à voir l'agent de sécurité civile EARRING qui lui fut aussitôt présenté. C'était un vigile chauve et massif, avec un tatouage électronique en forme de croix sur l’oreille droite. TRITTI fut docile et chercha gentiment à le faire parler pour en savoir d'avantage sur l'organisation du maintien de l'ordre aux Anges. Il avait sa petite idée pour, malgré tout, faire un rapprochement idéologique entre KOULADYB et BETELA. Il devait pour cela en saisir d'avantage sur les pillards, les mouvements de milices et l'ambiance martiale qui semblait régner aux Anges. Et pour une fois, il pensait avoir l'aval de SEMPRIAQ. L'agent EARRING, quant à lui vantard, ne se fit pas prier. « Nous veillons principalement à lutter contre les bandes de pillards, qui profitent de cette soudaine précarité pour tirer leurs marrons du feu. J'ai reçu ce mandat spécial pour vous, qui vous dispense d'un tas de choses... sans quoi vous auriez été aussitôt réquisitionné pour aider les équipes humanitaires à décharger leurs équipements. La situation est grave, vous savez. Les quelques zones de la ville réhabilitables sont surchargées de camps de secours. Les premières navettes de rapatriement vers le continent amorcent le désengagement du site, mais tout est vraiment trop lent !... Vous savez, ça me fait penser au BENAKISHMOUR ; vous y étiez, vous ? On avait toujours l'impression d'avoir la fièvre et l'esprit surmené. Ici, la moindre main d’œuvre est une denrée précieuse, car la cité ne peut en abriter qu’un nombre très limité. D’autant plus que c'est risqué de rester dans ce vaste secteur ; selon les spécialistes, une réplique du séisme peut à tout moment engloutir ce qu’il reste des terres émergées. Vous allez mettre mon nom dans votre journal ? »

La question, naïve, décontenança TRITTI. Il eut un bref rire. « Oui, agent EARRING, si votre corps de métier vous y autorise... Dans quel mesure peut-on rapidement se faire une idée de l'ampleur des dégâts ?

- Les victimes ! Tous les bâtiments en ruines que vous pourrez prendre en photo ne seront jamais aussi éloquents que le nombre de victime. C'est bien le genre de votre canard, non ? Faudrait p'têt' voir à mettre mon nom, parce que sans mon accord, vous êtes incorporable parmi les volontaires. Et si on requiert son potentiel à chaque pas qu'il fait, Monsieur Paul TRITTI ne pourra pas faire son petit travail d'enquête ! J'ai vu d’autres journalistes se faire déchirer leur carte par les milices urbaines, parce qu'ici on tolère pas les fainéants ! »

TRITTI dut promettre que plusieurs longues citations de l'agent EARRING ferait l'objet d'encadrés spéciaux dans l'article sur la cité des Anges, et fit plusieurs clichés de l'intéressé, en portrait, en situation, en poste. Puis EARRING lui épingla un petit badge bleu et noir, qui fit un effet ténu mais étrange sur TRITTI, comme s'il venait de s'être fait faire un piercing. Le pacte conclu, le journaliste put enfin disposer, et partit s'enquérir de la liste des victimes et disparus.

Il se laissa guider par les grappes de rescapés cherchant ou donnant des bonnes ou mauvaises nouvelles des portés disparus. Un central de témoignage avait été installé dans les spacieuses salles de formation du siège local de la Fondation DANSTLINGER ; du moins ce qu’il en restait : submergé sur ses deux premiers niveaux, ses arcades de circulation en hauteur servait maintenant de pont entre deux îlots de bâtiments. On y avait repêché un furieux nombre de noyés avant de pouvoir rendre ce site à nouveau opérationnel pour le compte des secours humanitaires et fédéraux. Mais il y avait eu des survivants. TRITTI trouva vite une liste de rescapés affichée, et dut jouer des coudes pour y avoir accès en se mêlant à la ruche bourdonnante qui masquait le panneau. La liste la mieux tenue (dactylographiée, classée, mise en page avec l’en-tête de la Fondation) faisait état du personnel présent sur le site au moment de la catastrophe, bénévoles y compris. A cause de leur indécrottable anonymat, TRITTI passa vite à une autre catégorie de noms, les V.I.P. invités ce jour-là pour alimenter les cycles de conférences et les réjouissances ordinaires. Et TRITTI reconnut un nom, celui de quelqu’un qu’il avait interviewé quelques années auparavant, un peintre financé par la mission culturelle de la Fondation, le « néo-surréaliste matérialiste » Daniel LEVINAS. Le peintre avait survécu au séisme alors qu’il présentait sa nouvelle collection, puis avait été transféré dans un camps voisin tenu par des bonnes sœurs. Paul TRITTI nota d’éventuels renseignements, comme la disposition des camps de secours les uns par rapports aux autres, ainsi que l’emplacement du bureau des dérogations exceptionnelles, et prit son chemin en s’arrachant aux cris de joie et aux pleurs déchirants des rescapés encore sous le choc.

Trouver LEVINAS dans le camps 51 devenait plus ardu. Plus l’objet de recherche était précis, plus il fallait le chercher longtemps. Le peintre dans ce camps pouvait très bien être en pleine opération chirurgicale de la dernière chance, comme il pouvait être en train d’aider ici, ou ailleurs... Il décida d’aller droit au but, plus confiant de la solidarité des sœurs que de celle des vigiles parcourant et nettoyant les rues. « Ma sœur, je cherche un homme. »

 

PAUL TRITTI

Son EPISODIE

2. Visitations

Episode 04

3. Invocations

Episode 06

Episode 08

Deuxième partie : Le Volcan dans l'Océan

4. Fondations

Episode 15

6. Manipulations

Episode 21

Episode 22

Episode 23

Prochain épisode :

Episode 22 : 6.Manipulations / Daniel LEVINAS

 

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