OKéANOS

Episode 22

Daniel LEVINAS

OKéANOS

6. Manipulations.

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BANDE-SON

Daniel LEVINAS, prostré dans un coin près d'une civière, regardait par l'ouverture de la tente. Il voyait et entendait parfaitement une des sœurs discuter de lui avec un homme étranger à l'équipe du Camps de rescapés 51, installation de fortune sur les vestiges réaménagés de la Cité des Anges. « Oui mon fils, j’espère qu’il acceptera de vous parlez... Il marmonne la plupart du temps pour lui-même, mais je crois comprendre ce qu’il ressent. Le séisme a englouti ses cinq dernières années de travail, voyez-vous... toutes ses toiles, inondées, détruites, ensevelies... Lui-même a eu beaucoup de chance de s’en sortir quasi indemne, il aurait pu périr noyé, vous savez, mais il était coincé dans une poche d’air, et on a pu le localiser. Beaucoup de chance, vraiment, quand on pense à tous ces morts... Mais cette pensée même n’arrive pas à le réconforter. Il m’a personnellement dit qu’il aurait préféré mourir, ou disparaître... »

Mourir ou disparaître. LEVINAS était toujours de cet avis. Et aux yeux du monde, c'était bel et bien comme s'il avait disparu. Ressortissant européen privé de ses papiers, il devait pour être rapatrié patienter qu'un témoin veuille bien le reconnaître et se porter garant de son identité. Il avait espéré un temps que ce serait rapide, mais il y avait d'autres urgences aux Anges, et LEVINAS craignait à tout moment d'être recruté par les milices humanitaires. Il voulait rester seul, et n’avait nulle envie de servir de main d’œuvre ; c’était bon pour les autochtones. Lui ne voulait qu’une chose, retourner au plus vite à Anampe et retrouver son atelier. Ici, les sœurs lui fichaient la paix... Aussi ne devait-il pas trop fournir d’efforts aux yeux d’un éventuel recruteur de camps voisin.

Dans les camps de rescapés, c’était la survivance, en attendant dans la crainte d'un nouveau séisme, d'une réplique comme disaient les spécialistes, le rapatriement sur le continent. Le camps 51 était tenu comme quelques autres par des bonnes sœurs, ici celles de l’Eglise de Théosophie. Leurs uniformes bleus étaient maintenant maculés de boue, et semblaient être comme un reflet du ciel toujours chargé des vapeurs d’incendies spontanés, criminels ou non, qu’on parvenait seulement alors à éteindre.

 LEVINAS était prostré en position fœtale dans un coin de la tente, à côté d’un brancard. Il avait accepté de veiller un blessé grave, pas plus. Il avait vite comprit que dans son intérêt, il devait feindre une aphasie momentanée ; ce qui ne lui coûtait pas beaucoup d'efforts. Il était réellement abattu et désirait véritablement mourir.

« Je puis donc le voir, ma sœur? »

L'une des sœurs discutait donc de levinas avec un homme, un docteur ?, qu’il n’avait encore jamais vu. Il sut que pour rester tranquille, son aphasie feinte ne suffirait plus ; sa supercherie serait découverte et il rejoindrait aussitôt les volontaires à l'action humanitaire. Il devait disparaître furtivement, du moins tant que ce médecin le cherchait. Il souleva un pan de la toile de tente à l'opposé de son entrée, se glissa dessous, rampa et se releva plus loin. Rapidement, il zigzagua entre les différents igloos de toile et gagna la sortie du périmètre 51. Sa petite escapade prenait ici des allures plus risquées. Si on le retrouvait à errer hors de son périmètre de référence, il pouvait être arrêté, pire, être soupçonné de pillage. Il paraissait que plusieurs personnes avaient déjà été pendues pour cela. LEVINAS évita au maximum les voies principales, les centraux d'informations et les zones de déblayage. Il restait des quartiers entiers de ruines dont on ne pouvait rien faire. Ils étaient insalubres mais isolés. LEVINAS s'y dirigea, bien décidé à s'y terrer pour la fin de la journée. Il s'abrita au milieu d’une place sans forme embourbée et noircie par un récent incendie, près d'un muret, dans l'angle chaotique de ce qui avait été un foyer. Au calme, il médita. Il se sentit soudain très seul et très loin d'ANAMPE en EUROPA.

Le peintre Daniel LEVINAS, homme auparavant jovial et truculent, n’était plus que l’ombre de lui-même. Pour tout dire, c’était le premier véritable coup dur qu’il devait encaisser dans sa vie trop aisée. C’était beaucoup trop pour lui. Il avait complètement halluciné cette histoire de poète qui avait disparu dans un de ses tableaux, dans « Sacre » plus précisément, en un sens son préféré. C’était un délire, il en était à présent convaincu. Mais la réalité lui semblait si dure, avec toutes ces toiles englouties, certaines très vieilles, toutes inédites, toutes constituant son jardin privé, tout cela disparu avant d’avoir pu être apprécié de quiconque, sinon par les noyés errant doucement dans la galerie inondée...

LEVINAS repensa à ce qui l'avait amené là, à la Cité des Anges. Il avait été invité par la Fondation DANSTLINGER à exposer sa dernière collection d’inédits, en fait des toiles couvrant toutes sa carrière et qu'il n'avait jamais montré. Le vernissage s’était déroulé entre ses fidèles amis très certainement morts à présent, et les badauds de passage, pour beaucoup des bénévoles fraîchement recrutés. C’est sans doute le cas pour Reinhardt... Quand j'y repense, je suis persuadé que tout vient de « SACRE ». Je crois que c’est ce tableau, et la présence de Reinhardt, qui ont ensemble déclenché ce séisme... C’est difficile à croire. J’oscille sans cesse entre la certitude et le doute. Reinhardt se disait être poète. Je pense que c’était un des nouveaux bénévoles, un de ces nombreux lecteurs que la Fondation embauche pour leur Bibliothèque. Reinhardt regardait « SACRE » d’une certaine façon... 

Le peintre frissonna. Repenser à ce tableau et à d'éventuelles implications surnaturelles l'effrayait à présent. « SACRE » était sans doute le plus particulier de ses tableaux. Il l'avait peint en plusieurs fois, sur plusieurs années. Quand on y regardait de plus près, on pouvait voir que les couches de peintures s'y superposaient, donnant comme un bas-relief à l'ensemble. En vérité, « SACRE » fut commencé au début de la carrière de LEVINAS, alors qu'il n'était encore qu'un jeune peintre sans originalité. Bien avant le mouvement de mécénat lancé par la Fondation DANSTLINGER, une vieille femme de HOUBLON nommée Béatrice RAINIER, qui jouissait d'une fortune dont la source restait inconnue, l'avait contacté pour exécuter son portrait. Pas un portrait ordinaire, il s'agissait de représenter quelque chose de plus. A chaque séance de travail, la vieille femme prenait une pose solennelle, et se mettait à réciter ou improviser des poésies tantôt en prose, tantôt en vers, jusqu'à se mettre en transes, et Daniel devait s'évertuer à se laisser guider par le flot de paroles insensées pour représenter le génie inspirateur, la Muse de Béatrice RAINIER.

Au début, le processus l'amusa. Puis cela finit par le troubler véritablement lorsqu'il eut commencé à avoir des visions en peignant, des images de ce qu'allaient devenir ses œuvres, mais des images si réalistes qu'il se sentait incapable d'assumer la technique pour concevoir de pareils prodiges picturaux. Le portrait de la Muse de Béatrice RAINIER n'avança toutefois pas comme son modèle l'entendait. LEVINAS était encore trop inexpérimenté pour saisir d'un coup d'œil le génie d'une vision, comme le rappelait cruellement la vieille dame. Son engagement prit fin et la toile ne fut jamais achevée dans ce sens. Pendant les années qui suivirent, Daniel s'évertua à maîtriser sa technique et son style ; il reçut l'appui de la Fondation DANSTLINGER et travailla jour et nuit dans des ateliers qu'on lui prêtait gracieusement. Mais secrètement, il continuait de travailler ses visions. Il parvint peu à peu à se mettre seul en transe, une transe d'un ordre plus intime que les spectaculaires logorhées de la vieille RAINIER. Il produit en quelque temps une série d'œuvres qu'il n'osa pas montrer tout d'abord, car trop différentes de son style officiel, et qu'il entassa bien vite en une impressionnante collection d'inédits. Et régulièrement il retravaillait « Sacre » . Il y ajouta des personnages autour de la silhouette ébauchée de la Muse, puis, n'en pouvant plus un jour de ne pas pouvoir préciser son visage, il la décapita et fit de la scène le sacrifice d'une Muse pour le règne de ses consœurs. Ce jour-là, il perçut en clairaudience une effroyable cacophonie guerrière, puis un impénétrable silence. Il sut alors que son travail était fini.

Le soir arrivait. Daniel continuait de se poser des questions, sur ce que le poète lui avait dit, sur le vol mental de ces toiles, comment ce Reinhardt les avaient perçues en songe avant de les voir là, et comment il ne rêvait plus, comme si voir les tableaux de LEVINAS lui avaient dérobé ses entrées dans l’Hypnostasie, comme il disait... Il repensa aussi à la façon dont le poète avait perçu « Sacre », une toile plus violente que les autres, et comment, alors que le poète récitait ses écrits devant le tableau, Daniel avait entendu à nouveau cette lourde cacophonie juste avant le séisme... Oh bon Dieu, cette musique de guerre !...

LEVINAS réalisa qu'il s'était mis à parler tout seul. La nuit tombait, et le peintre crut entendre des bruits de voix. Il fut soudain tétanisé de panique. On venait effectivement. Les voix étaient bien réelles. On avait dû l'entendre parler, car elles se rapprochaient. Cinq ou six personnes, ainsi que des halètement de chiens. Des secours en patrouille ? LEVINAS se replia sur lui-même et ferma les yeux. Mais quelques instants plus tard, il regretta sa couardise et maudit sa bêtise. Ce n’était ni des secours, ni des vigiles. Les six hommes l'avait trouvé sans trop de mal grâce à leurs chiens, et portaient des torches, débris incendiaires ; ils étaient vêtus de blousons de cuir noircis par la crasse et arboraient d’immondes ceintures de trophées humains autour de la taille. « Tiens, tiens ! Un drôle de rescapé tout propre celui-là. M’est avis qu’il est pas clair avec les autoritäten, qu’il empiète un peu sur notre terrain, vous croyez pas ?

- Sûr ! » Des pillards ! Une bande de pillards, dont les silhouettes sombres se découpaient sur le fond rougeoyant de leur torches. Ridiculement, LEVINAS se leva, mit ses mains en l’air et s'avança vers eux. S'il parvenait à faire respecter un code d’honneur, il pensait s’en sortir sans trop de dégâts. « Oh, Oh ! C’t’un trouillard ! Regardez ça les drougs, il tremble comme une pauv’ devotchka qu’aurait perdu ses voiles...

- T’es perdue, petite fille ? T’es perdue ? Dis-moi qui tu es !

- Sûr que tu sais c’que tu fais ! T’es un joli p’tit lot, bien propret.

- Tu viens pas de t’en sortir, hein ? T’es v’nu là pour prendre c’qu’y avait à prendre, hein ? Nous tu vois, on fait une petite collection...

- Ouais, putain de collec’ !

- Gueule vos ! Approche-toi un peu, ma petite... »

LEVINAS s’avança, les mains toujours levées. Il était trop tard pour reculer maintenant. Le pillard qui lui parlait avait le crâne rasé et arborait un peu discret cybertatouage à l'oreille droite. Un demi-cercle avait commencé à se former, qui bientôt se referma autour du peintre. Lorsqu'on lui porta un premier coup de crosse entre les omoplates, il comprit que c'était parti pour un atroce quart d'heure. Il se mit immédiatement à hurler de panique. Les pillards redoublèrent de coup et le firent tomber à terre, puis tâchèrent de le faire taire en lui écrasant la gorge de leurs bottes et en lui coupant le souffle. Quand les hommes le frappaient, leurs ceintures de restes humains bringuebalaient. Des mains tranchées et mutilées frémissaient, des oreilles nécrosées recevaient le sang qu’il perdait de la bouche puis du nez, et les têtes coupées arboraient toutes des rictus d’horreur et de cauchemar.

Quand la douleur ne fut plus qu’un sifflement lancinant dans ses oreilles, LEVINAS crut entendre d’autres voix. Il sentit qu’on le lâchait au sol. Sa manœuvre avait tout de même réussi à ameuter une troupe de miliciens qui firent entendre une alarme d'assaut. Les pillards jurèrent au plus grossier et s'étiolèrent dans plusieurs directions, laissant là Daniel plié en deux, tentant de reprendre son souffle. Il ne voulait pas plus tomber dans les mains des miliciens que dans celles des pillards. Il rampa le long du mur, tâchant de profiter du vacarme fait par les chiens des pillards et ceux des miliciens pour filer sans se faire prendre. Il trouva sous lui, dépassant légèrement d’un amas d’ordures, une plaque d’égout. Il dégagea lentement l’entrée, se concentrant plus sur sa discrétion que sur les sinistres bruits d'affrontements qu’il entendait maintenant. Après avoir réussi à soulever la plaque et aménagé un interstice, il descendit vers les égouts, ne sachant pas ce qu’il allait trouver au-dessous.

Il n’y avait que quelques centimètres à l’air libre. Le reste semblait inondé. LEVINAS laissa entrouverte la plaque, revécut fugitivement sa peur d'être englouti, et hésita à se glisser dans les eaux noires et fangeuses des égouts des Anges. Un coup de feu dans sa direction le poussa à réagir. Il plongea et chercha en apnée la plus vaste conduite. On ne voyait absolument rien dans les flots orduriers, et il dut s’y reprendre à plusieurs fois avant de trouver un autre chemin partiellement aéré. Son halètement irrégulier quand il reprenait son souffle avait dû être repéré, car des faisceaux lumineux luisaient maintenant dans le tunnel depuis la surface. Il ne pouvait plus reculer, et se laissa dériver au hasard sur quelques centaines de mètres. Il dérivait dans la fange et l’obscurité, mêlée d’eau de mer, et il ressentit tout soudainement l’impression d’être à présent lui-même tombé dans son maudit tableau. Un frisson de terreur le parcourut, comme il se sentait épié ou découvert. Il luttait contre la tentation de hurler, ne serait-ce que pour se décharger de sa peur. Il sentait l’air s’appesantir et se charger de tension visqueuse, et fut persuadé un instant entendre un chuchotement long et moqueur... Tyyy.... Kooooo... Lorsqu’il aperçut l’éclat luisant d’un barreau d’échelle menant à la surface, il n’hésita pas pour s’en saisir. Puis, estimant qu’il serait suffisamment loin de la zone interdite pour pouvoir ressortir, il déchaussa une seconde plaque d’égout, cette fois-ci de l’intérieur, ce qui lui parut plus facile. Il se trouvait plus près des zones réhabilitées. Il sortit précipitamment et se dirigea vers la lumière des camps. Quelques instants plus tard, une patrouille l’interpella. « Halte ! Que faites-vous là ? »

Se détournant vers la colonne d’agents fédéraux, il tenta de paraître calme et persuasif « J’ai... j'avais entendu des bruits... là-bas... vers les ruines... J’ai vu des hommes avec des torches... Ils s'en sont pris à moi, j'ai pu leur échapper... Je...

- Calmez-vous, monsieur, lança un agent. Nous allons prendre votre déposition. » Quelques coups de sifflets retentirent, et la moitié de la brigade s’enfonça vers les ruines pour rejoindre les autres miliciens.

On amena LEVINAS dans un préfabriqué où on l'invita à faire sa déposition. Mais quand il déclina son identité, l'agent s'arrêta net. Il s'absenta un instant, puis revint accompagné de l'homme que LEVINAS avait vu discuter avec la sœur au camps 51. On le laissa seul avec lui. LEVINAS prit son air le plus abattu, mais cela ne parut pas faire fléchir l'autre homme.

« Vous ne me reconnaissez sans doute pas, Monsieur LEVINAS, mais je ne viens pas pour vous interroger. Je veux juste parler avec vous, de vous.» LEVINAS afficha un air soudain plus inquiet. « Non, rassurez-vous, je ne suis ni recruteur, ni agent fédéral... TRITTI. Paul TRITTI. Je suis le journaliste qui avait écrit cet article de promotion sur votre travail, vous vous rappelez ? « Si vous êtes en quête d’une nouvelle Renaissance, voilà à quoi ressemblera la peinture qui en incarnera l’esprit. » Vous aviez trouvé cela flatteur. Nous nous étions rencontrés, à ANAMPE...

- Ca... ça me revient maintenant, déclara LEVINAS. Nous étions tous plus jeunes, et j’aurais bien besoin encore de cette Renaissance. Quant à connaître l'esprit incarné par la peinture... LEVINAS frissonna. Mais je suppose que ce n’est pas pour parler peinture que vous m’avez cherché... Vous me cherchiez, au fait ?

- Oui, plus ou moins, je recherchais quelqu'un qui puisse témoigner de ce qu'il s'est passé pendant le séisme. Il y a eu des survivants, des miraculés comme vous... J'ai reconnu votre nom sur une liste des rescapés. J'ai pris connaissance du camps où vous étiez répertorié, et je m'y suis rendu. Mais vous aviez disparu. J'ai alerté tous les miliciens que j'ai croisé tout ce jour. J'ai obtenu un passe, vous voyez là mon badge ? J'échappe aux travaux forcés, ah ah ah, mais... J’ai appris pour vos toiles. Je suis très sincèrement désolé. J’aurais aimé les voir...

- Vous les verrez, Monsieur TRITTI...

- Paul.

- Vous les verrez, Paul. J’ai encore tout en tête. Je vais tout refaire. Toute sauf une, ajouta-t-il comme s’il se parlait à lui-même.

- Sauf une ? Pourquoi ?

- J’ai dit cela ? Le peintre resta sur la défensive. Je ne sais même plus ce que je dis à voix haute et ce que je pense. C’est le chaos ici. Je veux partir... Je veux... »

Il avait éclaté en sanglots longs et douloureux, comme ceux d’un petit enfant. TRITTI se sentit gêné. Il tendit la main à LEVINAS. « Venez, allons prendre l’air, cela vous fera du bien.

- Ils vont nous donner du travail ! Ils arrêtent tous ceux qui ne travaillent pas. C’est pire que Varswaza ici.

- Ne craignez rien. C’est pour cela que j’ai un badge. Je vais tâcher de vous faire sortir de là. Avez-vous des papiers ?

- Non... tout perdu... faut qu’j’attende... visa... ressortissant européen..

- Je pense que sur présentations de mon passe, avec mon témoignage que je vous reconnais bien comme étant Daniel LEVINAS, je pourrais repartir avec vous. Mais vous devez m’aider en échange, me faire le récit détaillé de ce que vous avez vécu, le séisme je veux dire. Surtout vos impressions quant à la solidité des bâtiments de la Fondation. Je suis persuadé qu’ils sont de KOULADYB, non ?

- C’est... exact... Tout ce que vous voulez, pourvu que vous me tiriez de là. »

TRITTI espérait pouvoir rapatrier avec lui le peintre et recueillir son témoignage à l'abri de tout danger. Il fit jouer les privilèges qu'il avait obtenu aux Anges grâce à son rédacteur en chef, et dut signer en quatre exemplaires le témoignage qu'il reconnaissait bien Daniel LEVINAS et qu'il se portait garant de son identification. La procédure que le peintre espérait depuis de longues journées prit en tout et pour tout une demie heure après quoi ils purent disposer de leur liberté d'évacuer la Cité des Anges. Après avoir pris un peu de repos, ils quittèrent la ville sinistrée aux premières heures le lendemain matin.

Pour s'assurer du témoignage du peintre, TRITTI l'invita chez lui, où il pourrait tout à loisir faire le point et réorganiser sa vie sociale. Durant le voyage, LEVINAS redevînt progressivement l'homme charmant que TRITTI avait déjà interviewé, à l'époque où à la rédaction du journal l'on devait encore appuyer les projets KOULADYB. Il redevenait loquace et parfois drôle, sans toutefois arriver tout à fait à se débarrasser d'instants d'absence, les yeux dans le vague. TRITTI savait qu'il valait mieux ne pas le brusquer et lui accordait alors des moments de solitude.

 

Dans l'avion qui les mènent en EUROPA, TRITTI fait un drôle de rêve. Il se trouve dans l'avion assis derrière Hyt KOULADYB, et il voit l'architecte parler avec une jeune femme qui n’est pas là, mais que Paul peut voir tout de même.

 

Au réveil, il ne s'en rappela pas plus, mais en toucha deux mots à LEVINAS. Le peintre réagit immédiatement : « Ah, Paul ! Les rêves ! Vous savez qu'on en oublie la plupart ? Ce que je trouve fascinant avec les rêves, c'est qu'ils sont la perception que l'esprit a de lui-même, vous voyez, comme s'il était dans un monde clos où seul lui existe. Rêver, c'est être Dieu, d'une certaine façon. J'aimerais vous parler d'un homme, un poète, que j'ai rencontré juste avant le séisme... Il disait que mes toiles représentaient ses rêves à lui, ce que je trouvais aberrant. A présent, je crois plutôt que c'est moi qui l'ai rêvé... »

LEVINAS tenta de décrire au journaliste les événements qui le troublaient encore. Par son récit, il revécut comment ils furent pris au piège, le poète et lui, sous une arche de décombres reposant sur une colonne ; et surtout, comment le tableau, tombé au sol près d’eux, avait changé, oui changé ! Ce n’était plus le même motif, tout était inversé, les forts devenaient faibles et les morts renaissaient... Et de l’eau en sortait. Oui, de l’eau et du vent... l’air marin. Reinhardt se tenait allongé au dessus du bord du tableau, puis... puis il y est tombé ! Il est tombé dedans ! J’ai eu peur ! L’air marin devenait chaud, étouffant. L’eau montait toujours. Elle giclait de partout. Au bout d’un moment, je surnageais collé à la paroi supérieure, appuyé sur la colonne, la bouche collée à une arrivée d’air frais. J’ai crié longtemps. J’ai cru souvent sombrer dans la folie furieuse, j’avais des crampes, il ne fallait pas que je m’endorme... Le temps a perdu toute réalité pour moi. Ca m’a paru très long, mais maintenant que je suis sauf, ça me paraît être fugitif. Sauf la peur. Je la ressens toujours. Je ne sais pas si ce que j’ai vu est vrai. Je ne sais même pas si Reinhardt..., c’est tout ce que je connais de lui..., je ne sais même pas si c’est vrai ou pas. Je suis persuadé qu’il s’agit d’une hallucination, mais je suis habitué aux hallucinations. J’hallucine mes peintures avant de les faire. Et ce n’est pas comme si j’avais halluciné. Au fond de moi, quelque chose me dit que c’était vrai, la réalité. La -A-LI-Té !»

TRITTI dut admettre ne pas pouvoir trancher pour LEVINAS. Ils voyagèrent encore quelques heures. Ils arriveraient chez le journaliste qui vivait dans la banlieue de HOUBLON le lendemain matin.

Daniel LEVINAS

Son EPISODIE

Deuxième partie : Le Volcan dans l'Océan

4. Fondations

Episode 14

6. Manipulations

Episode 22

Episode 23

Prochain épisode :

Episode 23: 6.Manipulations / Rowainrrr /

Paul TRITTI - Daniel LEVINAS

 

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