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EPISODE 02

REINHARDT GESCHENKE

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BANDE-SON


Reinhardt GESCHENKE était un jeune homme d’une petite trentaine d’années. Issu d’une famille de riches industriels de la vallée de la Ruhr, ses prétentions avaient été de s’engager sur un tout autre chemin que celui qui lui avait été tracé. Reinhardt GESCHENKE se disait poète. Sa poésie était d’un style on ne peut plus personnel. Mélange de bribes de phrases et de mots-valises, il mettait un poing d’honneur à n’être compris de personne ; il avait fait sienne la maxime de Boris Viande, et estimait que dire d’une œuvre d’art qu’on ne la comprenait pas, c’était comme « porter un melon à son oreille et dire : ça ne sent rien. »
 

A cet instant, Reinhardt se ressource comme à son habitude à la fenêtre grande ouverte, le corps légèrement penché au-delà de la balustrade couverte de lierre-ronce pourpre. Il guette « La Voix », qui, lorsqu’il est suffisamment à l’écoute, lui dicte d’improbables sonnets. L’ombre d’un nuage se forme dans l’azur indigo, d’habitude si statique et bouclé d’Ouroboros nostalgiques, tel un présage, doigt pointé sur les droits du temps.

« doigt sur les droits
du temps
pointé
. »

« La Voix » sonne, limpide dans l’esprit de Reinhardt GESCHENKE. Il a considérablement amélioré la quantité de ses écrits depuis qu’il eut mieux compris les processus de l’inspiration. L’essentiel à présent est de se rappeler, se souvenir des mots précis entendus en songe, ou en état de transe provoquée comme en cet instant à la balustrade. Très vite, les conditions de détente et d’ouverture d’esprit amène « La Voix » à se manifester. La voix de sa Muse, La Dame aux Mille Enchantements. Au vu de l’état psychique de Reinhardt, ces moments précisément particuliers lui laissent toujours après coup l’impression d’avoir fait corps avec un pur esprit. Comme il l’a décrit, « cela écaillait de la grâce qu’une vieille cicatrice procure. »
En ondulant d’avantage de ses voiles-cerceaux, la Muse laisse en l’esprit de GESCHENKE l’impression d’une succube, d’une araignée ployant ses pattes - le fer pourtant forgé de la balustrade - en des béquilles, des vérins, des suspensions...
Vite, Reinhardt réalise qu’il hallucine une fois de plus ; depuis peu, le phénomène ne se contente plus uniquement de « La Voix », mais montre une singulière tendance à décaler peu à peu la réalité de Reinhardt GESCHENKE, en légères strates.

« stratus
pourtant léger
mais fait de tempêtes
insensées
- Il le veut ainsi. »

Comme si le Monde au-delà de la fenêtre à balustrade n’était que l’illustration de « La Voix », l’azur devient un écran sombre, et dans la psyché de Reinhardt, cela devient une évidence : un nuage en formation vient en Visitation dans l’inspiration de GESCHENKE.

« Voilà
qu’il se réveille
le dormeur si flou
qu’il ne sait plus qu’il est
que naît-il? »

Reinhardt croit un instant voir le nuage grossir démesurément, et il sent son esprit se jeter dans la contemplation des gaz volatiles. Les vapeurs engourdissent sa perception.

« nuée dans le nez
éternité
éternuée »

Il ressent tout d’abord les fracas de tempêtes dissimulés en ondées

« en ondées
en ondines
aubépine... »

comme des digressions stériles de mocabulaires primitifs. Il a comme un sursaut et refuse de s’y laisser prendre, forçant « La Voix » à reprendre un fil à présent déroulé. Il l’écoutera et se souviendra de tout, comme toujours, et ne lui accordera pas la paix du silence tant qu’il n’aura pas suffisamment d’éléments pour finir le Chant XVI d’Hypnostasie qu’il travaille depuis plusieurs mois. Docile, « La Voix » a repris sur l’âge avancé des bourrasques qui accompagnent la nimbe.

« anciens
en soi-même
ou par ce qui le porte
le Temps m’a poussé
cette nue anodine
ou bien voilà
le Temps lui-même revenu
réveillé
incarné
? »

Reinhardt ressent un frisson glacial réprimé dans « La Voix ». Il ne parvient pas à déterminer si cette hallucination est une épreuve dans l’ordre des choses, ou bien une réelle brèche dans les processus de « l’Agorapsyché ». Son propre esprit s’irise tout autour du grain du nuage à présent énorme. Il y a aussitôt un éclair, bref, extrêmement lumineux. C’était là un signe fort révélateur.

« Tu penses
astre éphémère
mais ta vie est ailleurs... »

Reinhardt comprend qu’il est confronté à une autre source pensante que La Muse. Des images de courses cosmiques des galaxies, dans le Vent Spectral de l’Univers, viennent s’intercaler à la perception du nuage. Et « La Voix » un instant a un moment de silence, évocateur d’un indicible effroi. Puis Reinhardt sent son esprit sondé. C’est comme d’avoir l’Œil Unique du Seul Juge rivé sur son âme. Toutefois, il ne s’agit pas du Léviathan endormi rêvant le Monde au-delà de nos dimensions. C’est pensant, éveillé, et dirigé sur le représentant humain qu’est Reinhardt GESCHENKE. « La Voix » et la présence qui l’accompagne devient de plus en plus ténue, amoindrie, ralentie.

« Un piège!
on me piège
et j’attends...
Quel dormeur
ainsi s’est éveillé?
Parle, étranger! »

« La Voix » s’adresse à la conscience qui anime le nuage. Mais nulle force ne répond à ses injonctions. Le phénomène se contente de persévérer mécaniquement dans sa lecture vampirique de l’âme de La Muse, et de l’âme de Reinhardt par rebond. Pour lui, le danger est grand, et il reste figé dans un état de panique hallucinatoire. Au-delà de la frayeur d’être sondé, Reinhardt sent La Muse lui inspirer une chance de salut au-delà du bleu de la nuit de son esprit. Un voile tombe entre Reinhardt et le nuage, comme un claquement de rideau, qui estompe « La Voix ».

« Une boucle!
un piège!
On me boucle
on me piège
on absorbe mon essence
et j’attends...
Valeureux adversaire
Quel dormeur
si ce n’est le Seigneur
ainsi s’est éveillé?
Il ne faut plus que je te
parle, étranger!
Intrus! »

Ces mots ne ressemblent pas au cheptel de concepts de « La Voix ». Et quelque chose semble avoir exclu le poète de la vision. Reinhardt retrouve intacte la perception de la balustrade, du haut et du bas, mais a l’impression d’avoir gardé en lui un mocabulicule résiduel qui parasite sa perception inspiratrice. Reinhardt frissonne de dégoût en s’imaginant aux prises avec une autre voix, une autre Muse dont il ne sait rien, si ce ne sont ses intentions hostiles envers La Dame. Des passages de ses Chants d’Hypnostasie font état de tels « Génies Matriciels », surtout d’un - sombre élément innommable toujours écarté des voies de l’Harmonie. Mais le claquement de rideau se répète inlassablement, rythmant de façon répétitive, en coups de fouet, « La Voix » qui s’estompe peu à peu.

« Ce ne peut être lui!
une boucle ! un piège!
Mais ce sont ses méthodes;
on me boucle
on me piège
Ô ma stase chérie
on absorbe mon essence
et j’attends...
Tu n’auras pas mon âme, valeureux adversaire
Quel dormeur
a fait de toi son âne
si ce n’est le Seigneur
ainsi s’est éveillé?
Si le Salut est un grand songe silencieux
il ne faut plus que je te
parle, étranger!
Se peut-il que ce soit toi,
l’Intrus!
TYKO ? »

A ce dernier mot, le claquement marque un léger temps de retard. La chose en forme de nuage sonde toujours La Dame, et Reinhardt sent sa propre énergie vitale s’évanouir lentement mais régulièrement.

« L’incertitude aveugle;
Ce ne peut être lui!
une boucle!
un piège!
Nous le savons sans tête
mais ce sont ses méthodes;
on me boucle
on me piège
Puissè-je t’avoir sauvée
Ô ma stase chérie
on absorbe mon essence
et j’attends...
Voyez, on me dévore
Tu n’auras pas mon âme
valeureux adversaire
Mais nul salut pour qui?
Quel dormeur
a fait de toi son âne
si ce n’est le Seigneur
ou bien l’usurpateur
ainsi s’est éveillé?
Si le Salut est un grand songe silencieux
il ne faut plus que je te
parle, étranger!
Mon œil aveugle est le tien
Se peut-il que ce soit toi,
l’Intrus!
TYKO ?
SALUDA! »

Nulle force ne répond aux injonctions de « La Voix » qui meurt alors tout à fait. Un souffle doré précède le silence. Reinhardt peut voir disparaître les dernières traces du nuage en une forme de béquille, de vérin, de suspension...

Quand il s’éveilla au petit matin, Reinhardt fut désorienté de ne plus se rappeler un seul des songes qu’il avait pu faire dans la nuit. Il gardait au fond de lui la certitude d’avoir fait un rêve lucide à partir de l’image clé de la balustrade, mais aucun mot ni événement ne lui revenaient en mémoire. Sa surprise était grande, cela ne lui était encore simplement jamais arrivé.
Le plus grave pour le poète fut que cela continua ; plus tard dans la journée, il voulut faire une sieste pour tenter l’expérience à nouveau, sans aucun résultat. A mesure que passèrent les jours, il sembla même que cela devint permanent. Revenant à ses anciennes méthodes, travaillant à partir des images de ses anciennes notes, cela ne lui laissa pour tout songe que l’impression de travailler à partir de morceaux de cadavres. « La Voix » s’était tue et rien ne semblait pouvoir l’invoquer.
Dans le Manuel qu’il utilisait, il n’était pas fait mention de tels risques. Le fait de ne pas rêver, de ne pas se souvenir de ses rêves, n’était jamais envisagé. L’ouvrage d’Hyt KOULADYB (« Initiation à l’Intelligence Active ») traitait de l’expansion des facultés mentales, non de leur régression. Rageur, Reinhardt GESCHENKE jura qu’on ne l’y reprendrait plus avec ces soi-disant méthodes d’efficience industrielles.
Un courrier l’attendait depuis quelques jours, envoyé en pli personnel par La Fondation DANSTLINGER. Dans le cadre de l’élaboration d’une classification mondiale des ouvrages imprimés, on recherchait des lecteurs bénévoles un peu partout sur la planète. C’est le trop long silence de ses songes qui poussa Reinhardt GESCHENKE, tari, exaspéré, à renvoyer sa candidature à la Fondation DANSTLINGER pour un poste de bénévole à la CITE DES ANGES, Amérikkka.
Il partit le surlendemain. Le jour suivant serait celui du séisme du Siècle.
 

NOS POINTS DE DEPART

Première partie : Racines au pouvoir

1. L’Abomination

Pierre PAIEN

2. Visitations

Reinhardt GESCHENKE

Jaroslav GROMOVSKY

Hyt KOULADYB

PACO

3. Invocations

ROWAINRRR
Spot MANDLEBROT

Prochain épisode :

 2.Visitations / Jaroslav GROMOVSKY

La suite directe de la narration

Episode 14  : 4.Fondation / Reinhardt GESCHENKE – Daniel LEVINAS

 

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