OKéANOS

Episode 07

SPOT MANDLEBROT

OKéANOS

3. Invocations.

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BANDE-SON

Spot MANDLEBROT  avait déjà enfilé son gant droit et s’évertuait à serrer les lanières du gauche avec les dents. Son corps luisant de sueur ressemblait à celui d’un buffle. Ce soir, il se sentait au sommet de sa forme ; il avait évacué depuis bien longtemps de son organisme les produits dopants qu’il avait ingéré durant cette saloperie de guerre contre le BENAKISHMOUR, et sa force lui paraissait à présent naturelle et construite de sa volonté propre. Au dehors de la salle d’entraînement, la rumeur du stade de DYOTONOS n’attendait plus que lui pour exulter. Il se leva en se dandinant prestement sur ses jambes au son de la musique rap’ qu’il avait expressément demandé pour son échauffement de hargne et de férocité - le son qu’il aimait, lourd, rapide comme les battements d’un cœur au combat, entraînant comme les chenilles d’un tank. Il se mettait en transe comme avant, mais aujourd’hui, même si l’enjeu était de taille, le combat n’aurait de réelle valeur que pour lui. Le radiocassette hurlait:

 

« En moi, donc jamais, flétrir de ma vie cette soudaine douleur.

Encore, et de quelle espèce sur un tapis

il reste une seconde cette réalité

sans précipitation dans son réalisme. »

 

Spot MANDLEBROT  laissa remonter en lui ces réalités qui l’avaient façonné jusqu’alors, ces années de soldat, la guerre contre le BENAKISHMOUR et la prise de l’enclave de GANISHAN.

 

« Tant d’amours, un picotement étroit,

un arbre, leurs ramifications, l’esprit de leur sens;

je me risque de réalisme au dehors

à vider de ma main

le feu. »

 

De sombres rumeurs d’un conflit probable avaient à peine émergées qu’il s’était déjà engagé dans les Sections d’Assaut Immédiat des troupes de l’Union des Nations Démocratiques. Il était âgé de 24 ans et n’avait rien à perdre. Il ne recula devant aucun sacrifice, se laissa implanter des émetteurs microscopiques, injecter des hyperbolisants top secrets, façonner par la science militaire de plus de vingt pays unis, et devint à la fois Lieutenant et machine de guerre. Les rumeurs s’étaient précisées en ce sens : le Comptoir du BENAKISHMOUR, centre économique de cette Fédération de pays hindoustano-musulmans qui fit son entrée officielle sur la scène politique le 9 Novembre 1994, refusait de reconnaître ses dettes internationales et invitait les Républiques de la Fédération musul’ à se joindre à son mouvement. A la suite de la prise d’otage de l’Ambassadeur du NEDERLAND par une faction armée musul’, une sécession diplomatique était consommée entre l’Union des Nations Démocratiques et le Comptoir du BENAKISHMOUR.

Le Lieutenant MANDLEBROT était aux premières loges de l’Histoire, et savait quel chantage odieux le BENAKISHMOUR tentait d’exercer sur les Nations Démocratiques. On avait diffusé à son état-major les cassettes vidéo des déclarations de l’Ambassadeur du NEDERLAND officiellement retenu prisonnier. Il était clair que celui-ci avait trahi pour rejoindre les rangs musul’ et leur apporter son lot de renseignements. Le plus déroutant était qu’il menaçait lui-même les pays signataires de l’U.N.D. d’attentats terrifiants à l’arme chimique. Cela activa une intense paranoïa au sein des bases logistiques de l’U.N.D., qui créa la Commission du Monde Libre, y intégrant quelques anciennes colonies musulmanes pour insinuer une indépendance d’opinion et de décision par rapport à l’U.N.D.. Le Monde Libre fut l’outil de propagande idéal pour préparer la guerre. Le Lieutenant MANDLEBROT, jeune, dynamique et encore inconnu, allait y jouer un rôle considérable.

La lutte quotidienne des vaillants citoyens du Monde Libre contre l’ennemi musul’ avait porté ses fruits. D’habiles mises en scènes d’attentats tantôt meurtriers, tantôt démantelés avec succès grâce aux dénonciations privées, créaient un authentique climat de lutte pour des peuples entiers, qui acceptèrent la déclaration de guerre de l’U.N.D. contre le BENAKISHMOUR avec patriotisme et confiance. Ce 6 Juin 1995 marquait l’entrée dans la plus rapide des Guerres Mondiales. Le 18, le Lieutenant MANDLEBROT et sa troupe de soldats surarmés prenaient d’assaut GANISHAN. Le 24 Septembre de la même année, la Fédération des Pays Hindoustano-Musulmans était ruinée et mise sous contrôle des « Missions de Libéralisation Démocratiques » de la Commission du Monde Libre.

 

Aujourd’hui, la guerre contre le BENAKISHMOUR était loin, et faisait déjà partie des pages glorieuses de l’Histoire. Une sourde angoisse monta en MANDLEBROT, qui frappa de tout son élan un sac de trois cents kilos, et passa sa fureur contre la masse inerte sans s’essouffler. Dans quelques instants viendrait le moment de vaincre Mass CANIBAEL, le Champion du Monde en titre de Boxe Poids Lourd, sur son propre terrain dans son propre pays - la République Fédérale des Balkans, où CANIBAEL était considéré comme un héros national. Le vaincre était pour MANDLEBROT une satisfaction personnelle, un moyen d’être reconnu au travers d’autres valeurs que celles de la guerre. Et c’était comme s’il ne pouvait en être autrement.

 

« Serais-tu capable, ô toi gris mais sitôt interrompu,

le penseur possible ou du corps,

d’éternelle peur bien définie et qui me sort ?

Je ne vois, asphyxiantes, de racines au hasard,

et encore et encore jusqu’au gouffre mon cœur. »

MANDLEBROT hurla plus fort que le son du magnéto, engouffra son protège dents dans sa mâchoire de bête, puis ouvrit violemment les portes du vestiaire. Il sentait déjà le triomphe en lui, il ne pouvait pas se tromper. Le couloir qui séparait MANDLEBROT des premiers officiels de l’entrée sud du ring était plongé, à sa demande, dans l’obscurité totale, la seule où il put se mettre en un état de démence bestiale.

 

Il se rappela que déjà, juste avant la prise de GANISHAN, il avait mis un blinder sur ses yeux alors qu’il était dans l’hélico l’amenant au dessus de la baie de MECQUE-TWO. Les espions avaient été formels, l’ambassadeur renégat du NEDERLAND se cachait dans un village surplombant la vallée de RAMA-MUHAMAD, au beau milieu d’une forêt tropicale moite et suintante. Survolant le paysage à basse altitude, l’hélico tentait d’approcher au maximum le village de GANISHAN sans se faire repérer. Le Lieutenant Spot MANDLEBROT  s’était concentré sur la fureur animale qu’il laisserait s’abattre sur les défenseurs de GANISHAN. Il entendait les murmures des soldats de sa petite troupe, oppressés à l’idée d’être repérés en plein vol par une unité de défense sol-air, et craignaient de s’écraser. Mais finalement, rien n’entrava leur avancée aérienne, ni leur débarquement sur un léger promontoire passant pour un tertre antique, ni la préparation de l’assaut des douze fantassins bardés de gaz viraux et de lance flammes, vaillants défenseurs du Monde Libre, futurs héros désignés s’ils parvenaient à pacifier l’enclave de GANISHAN d’où la Fédération musul’ semblait diriger les opérations.

 

La rumeur du stade rappela Spot à la réalité présente. Il arborait l’expression de haine et de férocité qu’il préférait, rictus tendu, yeux exorbités de fureur, épaules élargies à l’extrême. Espérant que son adversaire épiait son entrée, il comptait apparaître ainsi lorsqu’il émergerait du noir le plus dense du couloir vers la lumière du stade, avant que son humanité ne reprenne le dessus en quelques fractions de seconde. Et lorsqu’il passa la porte battante, émergeant à la lumière, dans sa posture animale de démon de la lutte, il vit un océan de dos tournés vers Sa Majesté Jamais Vaincue et Champion du Monde de Boxe Poids Lourd, Mass CANIBAEL saluant la foule de ses bras levés, aussi imposant qu’une statue grecque, massif, écrasant.

« Mais tout son souffle, adroitement, qui rend compte de mon image

en profondeur

n’est plus. »

Les regards de la foule ne se posèrent sur Spot MANDLEBROT  qu’en suivant celui du Champion daignant enfin jauger son valeureux adversaire. Et l’on commenta l’entrée de MANDLEBROT, le vétéran de la dernière des guerres de religions, celui qui fit du Monde Libre une réalité grâce à ses vaillants faits de guerre, et qui disposa de son statut de citoyen d’honneur à l’entraînement intensif des luttes et sports de combat ; celui qui, et c’était une première, osa défier le titre de Mass CANIBAEL lui-même. C’était un beau match attendu ce soir.

 

« Insensé en a perdu son cri sur l’esprit de la terre

d’avoir profond « je suis ». »

 

La frustration rappela à MANDLEBROT celle de l’opération de positionnement de ses hommes autour de GANISHAN. Cela avait été trop facile. La jungle ne révéla aucun maquisard, les animaux sauvages détectés ne fuyaient pas mais semblaient perdus dans une doucereuse léthargie, et, engoncés dans leurs tenues protectrices anti virus, le Lieutenant MANDLEBROT et ses hommes se sentirent un peu ridicules, comme en entraînement conditions X.

 

Quand MANDLEBROT salua enfin la foule - qui hurlait le nom de CANIBAEL - il n’était qu’à moitié présent. On prit sans doute cela pour du dédain. Malgré tout, la popularité des héros sportifs, figures de loisir, l’emportait sur celle, plus violente, des héros de guerre. Il fut pourtant un temps où on l’avait salué, et MANDLEBROT afficha insolemment une grimace de sourire épanoui, laissant apparaître son protège dents - personnalisé du fait de vestiges de capsules au curare dans les prémolaires - où était inscrit en lettres rouges

HATE.

 

« Il faudra ta pensée à dire un large sillon ; imparfaite

comme ce que j’eus tout tiré, difforme, ma pensée;

je t’aime. »

 

Spot détesta tout de ce lieu, ce ring vieillot, cette foule abrutie par un fanatisme conservateur, le vomissement de hurlements nasillards des commentateurs, ce parterre de photographes – Cyclopes des flashes, tout comme il avait détesté le village arboricole de GANISHAN, peuplé d’enfants mutilés, de vieillards et d’infirmes, tous rachitiques, qui se rendirent tous sans la moindre velléité au combat ni tentative de résistance, mais arborant tous malgré leur triste sort une intense expression de joie et de sérénité.

De son air le plus vaniteux, l’adversaire Mass CANIBAEL saluait la tribune des officiels, plus particulièrement une très jolie blonde assise au premier rang qui fumait un cigare. Ils semblaient se connaître ; intimement serait peut-être beaucoup dire. MANDLEBROT, surnommé le Boucher du BENAKISHMOUR, ne joua pas le jeu de son adversaire ; il se mit aussitôt en position d’échauffement, bandant ses muscles et assouplissant ses mollets et ses bras. Pendant que CANIBAEL paradait devant la superbe femme qui fumait un Havane, le prétendant au titre MANDLEBROT accomplissait en lui la montée de fureur qu’il avait invoquée.

« Superficiel est faible de la vie. »

 

Les consignes avaient été pourtant très claires au bureau commandeur - nul soldat n’était autorisé à se défaire de sa combinaison, dusse-t-il se pisser dessus. C’en devenait absurde. A GANISHAN, tous les prisonniers se laissaient parquer comme des agneaux, et parlaient quand ils étaient interrogés. Parmi eux, il y avait un vieillard qui pratiquait l’anglais avec un curieux accent, moitié germain, moitié dentier. Considéré par ses compatriotes comme un intouchable illuminé, il paraissait surtout à moitié dément, ânonnant des litanies absurdes les larmes aux yeux. Le Lieutenant Spot MANDLEBROT  décréta que tous seraient expatriés vers un pays signataire des conventions de GENEVA.

 

Un instant, Spot le Boucher se crut plongé à nouveau dans le passé. Mais le temps qui s’appesantissait sur ces moments de prélude à la danse sauvage qui allait s’exécuter, ramena MANDLEBROT au ring, à sa revanche personnelle. Le sang cognait à ses tempes ; comme il n’entendait plus rien, il dut concentrer le coin de son regard sur la lampe témoin du coup d’envoi du match.

« Ici s’arrête phosphore le large horizon mais s’applique son cri,

tes idéaux,

tes paroles de ce sang mutagène, des reflets. »

 

Le soldat PENNYWINTER était un bleu. Quand sa combinaison s’était légèrement déchirée, et qu’il s’en fut aperçu plus tard, il n’en toucha pas un mot à son Lieutenant, préférant incarner en cas de problème l’archétype parfois bien commode du héros sacrifié. Le Lieutenant MANDLEBROT n’en remarqua les effets que lorsqu’il fut trop tard. Il était occupé à contacter ses autorités qui déploieraient leurs unités de redressement. Le Lieutenant s’attendait à un « Demain à l’aube », mais on lui annonça qu’ils devaient observer une période de quarantaine, après quoi tous seraient rapatriés. Malgré les protestations de MANDLEBROT, comme quoi ils était hors de question qu’ils s’exposent aussi longtemps à une zone peut-être vérolée, que leur matériel de campement isolant n’était pas prévu pour d’aussi longues périodes, et que cela devenait impossible avec des prisonniers, l’Etat Major ne fléchit pas.

 

Dans le stade, il y eut un grand silence, et la lumière fut. Les lutteurs se jetèrent l’un sur l’autre en se bourrant mutuellement les côtes et l’abdomen d’uppercuts sourds et contondants. Les monstres sacrés s’évaluaient en une parade de chairs écrasées. MANDLEBROT jugea CANIBAEL aussi robuste que lui, sinon moins. Il ne voulait pas devoir sa victoire à une simple différence d’endurance.

« Ce que je peux se coince comme - penses-tu? - je peux les mots

à présent de ramifier l’âme. »

 

« Pas de prisonniers. Exécutions ». La réponse logique du commandement du Monde Libre était sans faille, froide et formelle. C’était pour MANDLEBROT et ses hommes une question de survie. La décision lui avait été douloureuse à assumer. Si d’innocents civils ne pouvaient pas survivre en se montrant coopératifs, à quoi bon défendre la loyauté sacro-sainte du Monde Libre ? MANDLEBROT essuya le tollé général de son unité, et commença à voir d’un œil plus critique les tentatives de l’enseigne PENNYWINTER pour fraterniser avec l’ennemi, au risque fréquent de s’exposer à une rixe organisée. Cependant, aucun prisonnier n’en profita, préférant l’apathie. Spot se posait des questions sur l’étrange sentiment de sérénité qui flottait dans et autour du village de GANISHAN.

 

MANDLEBROT feinta de se recroqueviller et ramassa sa puissance musculaire pour frapper le menton de Mass CANIBAEL des deux poings. Le Champion en titre dut sentir venir la ruse car il virevolta sur sa droite et s’employa à déboîter les reins de Spot par deux ou trois coups de coude bien pointus. MANDLEBROT hurla pour paralyser son adversaire. Pivotant à son tour, il accompagna son geste d’un violent coup du poing sur la tempe.

 

Certains détails l’intriguèrent. Les habitants ne désiraient pas se nourrir. Ce n’était pas une grève de la faim, mais un réel désordre métabolique. Une vieille femme lui parut des plus étranges, avec son ventre proéminent, comme gonflé, et ses mamelles durcies. Le vieux qui parlait anglais l’appelait Mary. Quand le Lieutenant MANDLEBROT l’eut sélectionnée pour entamer l’exécution massive qu’il avait retardé aux limites de l’insoumission, le soldat PENNYWINTER entra dans une rage folle et faillit tirer sur son Lieutenant. Il hurlait que la vieille Mary était enceinte, qu’il ne tolérerait pas un tel sacrilège, et dans sa fureur, on vit que sa combinaison était déchirée bien largement. MANDLEBROT comprit qu’il était bien tard pour opérer une quarantaine efficace. Certains de ses hommes se rangèrent au côté de PENNYWINTER, tous portés par un mélange de fureur et de grâce. D’autres, quatre pour être précis, défendirent leur lieutenant mais les balles qui sifflèrent et déchirèrent leurs combis’ les condamnaient à un sort bien moins glorieux. Les prisonniers restaient prostrés, certains étaient fauchés dans la bataille spontanée, seul MANDLEBROT, abrité par le reste de son escouade, résista sans être touché. Quand il eut branché les gaz de son lance-flammes, ce devint une autre affaire pour les mutins de sa propre escadrille.

 

« Je suis se jette à faire. Les pensées deviennent floues ;

ne coagulera ce corps, passer, bascule quand bavarde à présent lourdement. »

 

CANIBAEL marqua un temps de retard sur sa parade, et reçut le coup dévié vers son cou, sur sa jugulaire. Il aurait eut la glotte écrasée s’il n’avait pas tenté un Butchmake du gauche. Spot encaissa à son tour un coup massif qui lui fit exploser la cloison nasale. Ses yeux et son nez s’emplirent de sang.

 

« Qu’ai-je? La terre s’empare de cette lymphe qu’alors je creuse.

Nettoyer une flamme, de graver qui doit de la torpeur. »

 

Quand les premières flammes avaient jailli, incendiant sans distinction soldats du Monde Libre et prisonniers musuls, Spot savait qu’il verrait indéfiniment ces images défiler sous ses yeux pour le restant de sa vie. Il savait qu’il ne devait rester aucun survivant ; que sa tenue avait résisté et qu’il pourrait, seul, supporter les restrictions d’une quarantaine. GANISHAN était prise, c’était ce qui comptait. Le fauve qui dormait en conditionnement post-hypnotique s’éveilla en lui, et il devint un dragon, rayant de la carte le plus paisible village comme le plus dangereux des pièges : un virus qui faisait la guerre à la guerre.

 

A la vue du sang s’échappant du nez de Spot le Boucher, la foule acclama le succès déjà probable de Mass CANIBAEL. Mais une profonde colère remontait des tripes du héros de guerre. Il revoyait les corps brûlés de GANISHAN, les soldats de son unité qu’il avait sacrifiés, et repensait aux dernières paroles du vieux qui s’offrait au feu en tentant d’agripper la combi’ du dragon qu’il incarnait. MANDLEBROT revécut aussi sa quarantaine forcée, caché parmi les carcasses des morts, puis l’arrivée des troupes de Libéralisation Démocratique, tous ceux qu’il aurait dû supprimer en place d’innocents et de pions, ces supérieurs qui firent de lui le « héros du BENAKISHMOUR », Spot MANDLEBROT , unique survivant du vaillant assaut sur l’enclave stratégique de GANISHAN. Le visage de CANIBAEL se mua en une sombre alchimie de toutes ces figures détestées. Tandis que le Champion en titre risquait, sûr de lui, un regard vers la tribune officielle sur la superbe femme qui semblait soutenir sa puissance virile, MANDLEBROT gonfla la poitrine, et il lui sembla engouffrer tout entiers les cris de la foule chauffée par les ultrasons des sifflets et des speakers. Comme CANIBAEL semblait prétendre parader du regard, MANDLEBROT s’élança, devinant du coin de l’œil la silhouette de la belle danoise se lever et entrouvrir les lèvres.

 

« T’est-il me fait de roses, ce que bientôt se replie enfin

en silence ton cri et du sang.

En saisir une!

Ton cri! »

 

Effet inverse. CANIBAEL fut distrait par la mise en garde stridente de la fumeuse de havanes. Spot MANDLEBROT  enchaîna trois directs, à la tempe, au menton, puis sur l’arête du nez. Mass CANIBAEL vacilla, un air hagard se grava sur sa face en sang, puis il roula des yeux en tombant vers la gauche. Le premier match qu’il perdait était aussi le plus bref. Et le dernier.

 

« Leur ouvrage, exultant, absurde ; elle est, me font tant qui,

du corps, les mots pour que de partage, ce sang tissant et âme... »

 

La foule retint son souffle sur le décompte de l’arbitre, et le silence se poursuivit quand Spot le Boucher fut déclaré, poing tendu vers le haut, vainqueur et Champion du Monde. On n’y croyait pas.

Comme on ne croyait pas en cette masse amorphe laissée là sur le tapis, plongée dans une autre masse, celle des réanimateurs et entraîneurs de tout ordre. Spot MANDLEBROT  fusilla de son regard haineux les premiers rangs qui n’applaudissaient pas, et comprit que sa victoire demeurerait terriblement personnelle. Il restait malgré tout le gênant vétéran de guerre MANDLEBROT.

 

« Ce cœur l’a déjà pourtant ; pour d’abord

c’est aimer tout le choix. »

 

Spot regagna, parmi les applaudissements finalement forcés, les vestiaires où il pourrait laisser s’éteindre sa hargne et sa colère démesurée. Il bouscula quelques reporters en manque d’impressions à chaud, et hurla même à l’adresse de quelques rares admirateurs au crâne rasé de foutre le camp de son chemin.

 

« Comment l’esprit, l’effort, qu’alors dans le ciel laissé vide,

on fait imaginer ce qu’ils sont ; pourtant ne peut rien,

mais vers cervelle. »

 

Dans son esprit, il lui aurait suffi de devenir un Champion pour effacer à jamais son statut de guerrier. Mais il demeurait encore plus barbare dans le domaine sportif. Enfermé dans son vestiaire comme dans une loge, il ne désira plus en sortir. Il sut très vite qu’il avait fait plus que vaincre le Champion en titre ; les speakers l’avaient annoncé quelques minutes après la fin du match: Mass CANIBAEL était mort. Les coups que lui avait portés Spot étaient faits pour. L’autopsie révélerait sans doute: « mort des suite d’un arrêt des fonctions du cerveau », l’arête du nez s’étant fichée dans la matière grise aussi sûrement qu’un cadenas à une chaîne. Champion était Spot MANDLEBROT , assassin il demeurerait. Il pressentait déjà les gros titres: « Quel avenir pour l’ex-lieutenant MANDLEBROT? »

Il ne se sentit le courage de déverrouiller la porte de son vestiaire qu’une fois douché et habillé de son costume de gala prévu pour l’occasion. Une vaste foule de curieux, d’entraîneurs, d’arbitres et d’officiels l’attendaient dans la froideur d’un silence comme toujours gêné en sa présence. Spot tenta de sourire. Un administrateur de la Fédération Mondiale de Boxe le menaça: « Vous ne devriez pas sourire ainsi, Monsieur MANDLEBROT. Mass CANIBAEL est mort. Vous allez devoir nous suivre pour effectuer une prise de sang et accepter quelques tests de santé mentale. » On ne lui laisserait pas même le temps de (FLASH) boire une coupe de champagne. Spot se laissa emmener (FLASH) par quatre agents de la sécurité civile jusqu’à (FLASH) un fourgon spécial.

 

Il se retrouva sur une planche de bois défoncée, recouverte d’une couverture miteuse en laine rêche et urticante, dans une cellule de la Clinique Pénitentiaire de DYOTONOS. Son esprit était vide pour la première fois depuis plus de neuf ans. Il n’avait pas pensé devoir en passer par là pour qu’enfin se taisent les voix accablantes du remords, Erynnies torturant son esprit depuis la prise de GANISHAN. Il n’y pensait simplement plus, et il lui semblait avoir payé sa dette envers sa très sainte loyauté morale, par cette éradication du mal en lui. Il n’attendait plus qu’une condamnation à mort comme délivrance au sommet de son art.

Il aurait aimé pouvoir sourire, mais l’œil électronique d’une caméra de contrôle analysait ses moindres réactions, pour obtenir le diagnostic final qui rendrait compte de sa santé mentale. Je ne dois pas passer pour fou, plutôt mourir que de finir mes jours végétatifs comme beaucoup de soldats gênants. Quand ma culpabilité sera établie, quand ils me condamneront à mort comme c’est l’usage dans ce pays, et que l’on me demandera mes dernières paroles, je leur répéterai ce que m’avait dit le vieux de GANISHAN.

La porte de la cellule cliqueta et s’ouvrit. Un infirmier solide laissa entrer un petit homme gras en costume noir et bleu, au regard intense et porcin. « Vous pouvez sortir, Monsieur MANDLEBROT. J’ai obtenu votre liberté sous caution. » Spot reconnut celui qui n’avait pas à se présenter, le célèbre avocat Maître Johann PANIS, dit « l’avocat du Diable », toujours avide de causes perdues et de procès invalides. L’infirmier tendait ses affaires de gala à Spot, qui se rhabilla sans mot dire devant l’avocat. Puis on les fit sortir par un accès dérobé du bâtiment. Des membres du corps de la police civile les escortèrent sous la pluie jusqu’à une limousine noire. PANIS et MANDLEBROT montèrent à l’arrière. Quelqu’un les y attendait. Une superbe silhouette, une odeur de havanes, un accent danois. MANDLEBROT avança sa main pour échanger une poignée, mais la femme l’arrêta d’un geste. « Je ne tiens pas à ce genre de protocoles, Monsieur Spot le Boucher. Je suis Madame Jahéva BETELA, la femme du député. Nous pouvons vous garantir le soutien de notre avocat, Maître Johann PANIS ici présent. Mais cela ne signifie en rien notre amitié. »

La limousine entama sa route et l’avocat ânonnait les droits à la violence dans les domaines sportifs, militaires, civils et défensifs, L660, art. 6 à 9. Et Spot ne regretta pas de l’avoir suivi. Assise à la place du mort, Mme BETELA écrasait un cigare ; si elle lui résistait de par son attitude et ses paroles, son regard tout entier lui signifiait qu’elle le trouvait terriblement désirable. Elle parla par dessus la voix douce et mielleuse de l’avocat.

« Que les choses soient bien claires, Monsieur MANDLEBROT. C’est donnant-donnant. Nous pouvons vous laisser cuire sous les feux croisés de l’opinion publique et de la Fédération, sans parler de la Justice de ce pays. Mais Mass CANIBAEL était le meilleur homme à notre service et pour honoraires de votre défense, il nous a plu de vous voir le remplacer. Aimeriez-vous devenir le Champion véritable d’une cause humanitaire, Monsieur MANDLEBROT ? Quelque acte brave et bienfaisant qui modifierait la condition humaine entière? »

Spot MANDLEBROT  ne put s’empêcher de repenser aux officiers recruteurs et à leurs valeureuses promesses. Toutefois, il crut pouvoir lire en Jahéva BETELA une sincérité déroutante sur la bonté de ses projets. L’idée d’une reconnaissance véritable de l’Humanité le réconfortait. « Oui Madame. Je crois pouvoir accepter votre marché. »

Cette nuit-là, comme une limousine noire s’éloignait sous la pluie dans la nuit de néon, et que la rumeur d’un complexe sportif restait comme suspendue au-dessus de la ville, des signatures s’échangèrent et ouvrirent le champs d’une transformation du Monde.

Du Monde Libre serrant les lanières de ses bottes aux talons de fer.

NOS POINTS DE DEPART

Première partie : Racines au pouvoir

1. L’Abomination

Pierre PAIEN

2. Visitations

Reinhardt GESCHENKE

Jaroslav GROMOVSKY

Hyt KOULADYB

PACO

3. Invocations

ROWAINRRR
Spot MANDLEBROT

Prochain épisode :

Episode 08 : 3.Invocations / Hyt KOULADYB

La suite directe de la narration

Episode 12 : 4.Fondation / Spot MANDLEBROT

 

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