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EPISODE 08 |
Hyt KOULADYB , en introspection, position n°7 Brahma-Tabdji, allongé sur le conformtable lit de sa conformtable suite à l’Hôtel PIXON de HOUBLON , repensait aux conséquences économiques qu’entraînerait la rumeur d’une hospitalisation à long terme, quand le récepteur bourdonna faiblement et pris note d’un e-mail. D’une main presque rendue solennelle par la méditation, Hyt dériva la réception sur boîte vocale et écouta la voix informatée - modèle Betty Bomp - lui annoncer un message de l’Université Clinique de HOUBLON. Si tu ne viens pas à Mahomet... songea-t-il, avant de s’inquiéter de la présence d’éventuels détecteurs d’ondes musuls dans le récepteur de l’hôtel, comme les légendes de la guerre du BENAKISHMOUR le laissaient supposer. Simple travail de rumeurs... Deux tiers de seconde s’étaient écoulées quand Hyt KOULADYB répondit au récepteur: « Répondre. Monsieur KOULADYB quittera HOUBLON demain matin. Qu’un rendez-vous soit pris cet après-midi entre 15 et 16 heures. Transmettre modalités de rencontre avec confirmation. Fin de transmission. » Immédiatement après avoir reposé le récepteur, Hyt s’élança de son lit en position Ibn’Arabi, prêt à mettre à profit toute l’énergie dont il disposerait aujourd’hui. De par ses efforts mentaux et son hygiène de vie irréprochable, il ne ressentait pas trop péniblement le poids de l’âge et de tant d’années d’efforts. Au contraire, il lui avait semblé tout au long de sa vie que l’autodiscipline était sa nature véritable, et que les contraintes s’étaient révélées être les clés de son être intérieur. Ce matin là ne ferait pas exception, et il ne comprendrait toujours pas l’origine de ses migraines. KOULADYB mit en marche son ordiphone et prit mentalement note des affaires qu’il pourrait régler depuis sa chambre d’Hôtel. Faire établir une synthèse des déclarations de presse qu’il avait faites la veille à sa sortie précipitée de la Clinique, prendre contact avec l’antenne locale de la Fondation DANSTLINGER et vérifier l’avancée de leurs travaux, faxer sa déclaration hebdomadaire au magazine « Nouvelles Vies », tout cela plutôt qu’attendre la confirmation de son nouveau rendez-vous à la Clinique, sans doute avec ce Docteur PAÏEN dont avait parlé Betty, la secrétaire dite d’accueil. Il détestait attendre. Cette obligation lui flanquait immanquablement la migraine redoutée qu’il évitait parfois grâce à de contraignants exercices de Tama-Yoga. Sa pensée positiviste lui intima la joie, par ses propres travaux de synthèse, d’avoir sauvé les disciplines orientales, qui n’avaient pas totalement sombré dans le noir oubli des purges anti-musul’ d’après-guerre. Il se rappela avoir lui même testé les bases du Tama-Yoga avec les futurs cadres de l’Université Clinique de HOUBLON . Quand la guerre eut éclaté, KOULADYB avait craint que ces pratiques ne disparaissent sous la pression politique et religieuse, mais à HOUBLON, le personnel scientifique s’était révélé suffisamment alerte pour justifier par d’impensables expériences les bienfaits de ces pratiques, « fort heureusement européanisées par Monsieur Hyt KOULADYB ». L’Université, en prenant une position responsable, méthodique et toujours à la pointe des innovations scientifiques, avait bien répondu à ses attentes. La création après-guerre de la « Fondation DANSTLINGER - entreprendre pour la santé » lui avait permis de remercier l’aplomb de toutes les équipes de l’Université Clinique sous formes de généreuses subventions, de donations et de prêts à taux zéro. Si l’on pouvait encore exercer le yoga et la méditation zen, faire la prière du lotus sans être taxé de propagandiste indo-musul’, c’était par le fait d’Hyt KOULADYB , encore une fois sauveur du progrès de l’âme humaine. C’est pourquoi il ne saisissait pas les raisons de son attitude de la veille, quand il avait fui du bureau d’accueil comme un voleur. Avait-il déjà pressenti (comme cela lui était arrivé à NORTHAMPTON en 1967) la présence pourtant improbable de journalistes ? Lui était-il si difficile de revenir sur ces lieux chargés de son enthousiasmos perdu ? L’attaque fatale du Professeur chargé de ses soins pouvait-elle l’avoir déstabilisé à ce point ? Le malaise, presque une angoisse, qu’il ressentait n’avait pas de raison d’être, si ce n’était la peur d’entendre un verdict fatal. Un point noir lui vrilla l’intérieur de son orbite droit. La migraine commençait. Avant toute autre chose, il lui faudrait s’informer sur les rencontres à venir. Gouverner, c’est prévoir. Allumant sa console d’orditel, il pianota le nom du Professeur André MOREAU , responsable du secteur neuropsychiatrique de l’Université Clinique de HOUBLON . Un faible bourdonnement accusa réception de sa demande aux renseignements généraux, et le point noir derrière son œil droit devint une petite boule de douleur. Hyt KOULADYB se pencha sur la fenêtre active de ses notes personnelles, et l’édito pour « Nouvelles Vies », sans conviction quant à son contenu. Ses pensées dérivaient sur un autre plan. Il revoyait en lui les reflets huileux qu’avaient lancés les plates-formes pétrolières au dessus de l’océan. Et il repensa à la brochure délaissée par cette jeune fille descendue à TANGER. « Chingada! lança-t-il tout haut, j’ai laissé la brochure dans l’avion! » Il ne pouvait pas encore comprendre pourquoi, mais il sentait que cela était important. Et il détestait couper court à ses propres intuitions. L’orditel éructa les informations glanées et classées sur le Professeur André MOREAU , né à HOUBLON , Europe Occidentale, de Georges MOREAU - infirmier - et de Madeleine MOREAU née RAINIER - sans profession. Entré à l’âge de quatre ans dans l’école pour enfants précoces de HOUBLON ; inscrit en première année à l’Université Clinique à l’âge de quatorze ans ; publication chez DINGHARDT PRESS Empire d’une Topologie du cerveau des mammifères terrestres ; nommé professeur à l’Université à vingt-trois ans ; responsable du secteur neuropsychiatrique à l’âge de vingt-quatre ans. La surprise fut de taille pour Hyt KOULADYB qui s’était naïvement imaginé un vieux professeur de son âge, car André MOREAU n’était âgé que de vingt-six ans, et n’était donc pas de nature à subir une quelconque et violente attaque de son organisme. Il restait à voir si Hyt pouvait obtenir des informations sur la nature de cette attaque dans les fichiers privés de l’Université Clinique. Il y aurait peut-être ses droits d’entrée en tant que fondateur et principal commanditaire. De toute façon, cette perte de temps était de sa faute, quand il aurait pu simplement tout savoir à l’accueil au lieu de fuir. Après s’être connecté sur les fichiers de l’Université Clinique, KOULADYB patienta sur un écran d’accueil kitsch durant plus de trente secondes, qui lui seraient - logique de consommation du temps informatif oblige - facturées comme le reste. Au moins a-t-on accepté mon code d’identification, pensa-t-il en prenant en télénotes ce que lui transmettait l’orditel. Il fut à nouveau surpris par le contenu des informations qui lui étaient transmises. Du surmenage ? Du simple surmenage soigné au PHR ? Si des surdoués comme MOREAU ne pouvaient pas venir à bout des tracas administratifs, qui allait endosser le costume de responsable dans le prochain monde moderne ? KOULADYB ne désespéra pas d’en apprendre d’avantage, et fit la requête de la liste des derniers travaux et recherches du Professeur. L’attente fut encore plus longue, et KOULADYB pesta contre l’inefficacité de ses propres subventions allouées à l’Université Clinique pour l’amélioration de son site orditel. C’était pourtant bien une interface CBI ; il avait lui-même travaillé sur les bases de convivialité quelques années auparavant (Jingle de Brian ONE, décors en animatronisation de KERROYER, rapidité d’exécution réglée sur le rythme cardiaque moyen d’un homme en position assise... ). Il eut l’idée durant cette interminable attente de réviser son édito pour « Nouvelles Vies » en un plaidoyer sur les dangers d’une commandité trop généreuse dans « ce monde de requins aveugles à la lumière de l’Etre Intérieur » Mais l’info lui parvint avant qu’il ne mette sa secrète menace à exécution. Le Professeur MOREAU semblait travailler sur une nouvelle version, plus approfondie, de la topologie du cerveau des mammifères terrestres, et avait compilé avec le Docteur PAÏEN un catalogue d’impulsions électriques à faire tester parmi les étudiants. Hyt KOULADYB avait le sentiment qu’on se fichait de lui ; si MOREAU était surmené au point de faire une attaque, ce n’était certainement pas dû au poids de ses travaux cliniques et universitaires, ni à un surcroît de responsabilités administratives. Hyt avait conçu tout l’appareil bureaucratique de l’Université Clinique sur des modèles qui marchaient par ailleurs à la perfection. Puisqu’il devrait sans doute rencontrer le Docteur PAÏEN, il demanda à l’orditel sa fiche de parcours.
Les renseignements sur le Docteur PAÏEN vinrent plus vite. Cela suffit à KOULADYB pour comprendre qu’on lui cachait quelque chose sur André MOREAU . Le cas du Docteur PAÏEN n’était à première vue pas beaucoup plus intéressant. Nommé il y a trois ans à HOUBLON , venant des hôpitaux d’ANAMPE en qualité de neurochirurgien, ses travaux portaient essentiellement sur des relevés d’ondes cérébrales ensuite compilés avec le concours du Professeur MOREAU. Rien de bien contraignant, jugea Hyt KOULADYB . Une note, cependant, datée de la veille, se révéla plus éloquente: « Responsable du projet ONIROSCOPE - délégué de l’équipe du Pr. Moreau ». Hyt KOULADYB sentit son intérêt titillé par ce mot étrange : ONIROSCOPE , et par ce qu’il semblait signifier. Mais aussitôt, le combiné du récepteur de l’Hôtel bourdonna, et une douleur somatique vrilla le tympan droit de l’architecte comme une mèche de perceuse à percussion. Hargneux, il décrocha en téléchargeant les infos de l’Université Clinique sur son agenda personnel, et prit la communication de l’Hôtel. Un coursier avait remis pour lui une lettre de l’Université Clinique. Devait-on la lui porter ou la laisser à sa disposition à l’accueil? « Apportez-la » aboya-t-il. Il se déconnecta et raccrocha simultanément, toujours prompt à la moindre perte de temps, et tenta de se recentrer en inspirant Tamatamarama l’air ventilé de l’hôtel. Il lança ensuite une communication avec la Fondation DANSTLINGER , prêt à y décharger sa mauvaise humeur dès la première occasion. La mission de la « Fondation DANSTLINGER - entreprendre pour la santé » de HOUBLON était moins liée à une santé physique que culturelle. Il s’agissait d’établir un catalogue exhaustif, voire TOTALEMENT complet, des documents répertoriés dans toutes les Bibliothèques d’Europe Occidentale, nationales et municipales, ainsi que dans les collections privées regorgeant de pièces rares vendues aux particuliers. Un travail de titan, qui de plus avait la qualité d’être absolument rébarbatif, et dénaturait le plus objectivement du monde la nature même des idées véhiculées dans l’immensité de ces ouvrages. Pour KOULADYB, il était question de parvenir à transmettre la totalité des œuvres écrites à une matrice informatique qui serait vendue à la plus offrante des Bibliothèques. La Fondation DANSTLINGER faisait office de chaperon un peu forcé à l’élaboration malgré tout de parties de son grand rêve : une Cité Idéale où l’Humanité entière serait représentée tant culturellement que spirituellement, une cité où les mots spiritualité et worldculture remplaceraient ceux désuets de religion et tradition. La matrice de bibliothèque numérique qu’il proposerait était un fragment de ce rêve de jeune architecte, et il ne doutait pas qu’un jour l’humanité reconnaissante s’inspire de ses travaux pour bâtir son paradis autour de la Bibliothèque du Monde. Quand il s’annonça au combiné, il perçut une sorte d’ovation. « Monsieur KOULADYB! Quel grand honneur pour nous. Seriez-vous en mesure de venir inspecter nos travaux? » KOULADYB adorait cela. Il avait ainsi fait former les équipes de la Fondation, allant toujours aux devants des désirs des responsables et des directeurs. Cela marchait à merveille. Tout le monde avait l’impression de travailler dans une ambiance de franche camaraderie et de réel respect mutuel. Vœux de fin d’année, Fête de la Femme, Jours de congés doublés par rapport à la moyenne mondiale, les employés de la Fondation étaient des employés modèles et heureux. Ils abattaient donc un boulot incroyablement rébarbatif avec une sympathie réelle et un zèle non feint. Sa mauvaise humeur fondit devant tant d’enthousiasme. Il se revoyait, jeune et plein d’énergie, et de rêves d’un monde à changer ; il savait qu’à la Fondation, tous étaient de cette trempe, et que l’on confiait souvent les missions de ce type à de jeunes bénévoles. Hyt KOULADYB savait qu’en confiant son propre rêve aux élans de la jeunesse, il gagnerait l’aval des générations futures, et c’était cela qui, à son âge, semblait ne plus lui paraître vain. Il vérifia très vite l’avancée des travaux de compilation, remarquable pour autant qu’il lui en sembla. Tous les fichiers des bibliothèques européennes déjà informatisées avaient été téléchargés, vérifiés, et même souvent corrigés - certains archaïsmes de classement avaient pu passer au travers du premier assaut informatique des années quatre-vingts, mais pas des grilles de programmation des ordinateurs CBI de la Fondation DANSTLINGER . Les collections particulières et semi privées étaient en voie d’être toutes répertoriées, certains hommes de terrain ayant bénéficié de la meilleure volonté des collectionneurs, « à qui ce projet de Bibliothèque Mondiale parle comme la mesure de blé aux marchands. » KOULADYB pensa en son for intérieur que cela ne voulait rien dire, et ne sut si ce stupide bon mot était celui d’un collectionneur ou de la secrétaire ; « Voyez-vous, Monsieur KOULADYB, nous sommes sur le point de dresser la liste des meilleurs états de conservation des ouvrages en bibliothèques informatisées. La troisième étape, celle du scanage des exemplaires choisis, pourra être entamée dès la fin de la saison prochaine. Il est presque certain que des ouvrages inconnus, rares, édités à très petits tirages, quasi confidentiels, risquent d’être oubliés. Mais une fois la Matrice conçue, il sera toujours possible d’y ajouter des dérivations où les nouveautés et pièces exhumées pourront être intégrées. Nous sommes en relation avec certains députés européens pour mettre au point un projet de loi sur les publications, dans la lignée de ce que nous avons pu obtenir après le codbar. Il s’agirait de faire répertorier tout ouvrage nouvellement édité à la banque mondiale de données que nous pourrions développer encore. Ce projet est un grand projet, Monsieur KOULADYB. Sachez que nous sommes tous fiers ici d’y travailler avec beaucoup de soin. Certaines équipes de bénévoles, un peu partout en Europe, se sont même proposées d’établir un classement thématique de toutes les idées exprimées dans les livres. C’est un travail de titan, surtout pour la poésie. Les surréalistes, Monsieur, vous les aimiez tant. Et bien c’est avec eux, et depuis eux, que nous avons tous ces problèmes de classements thématiques. Je crois pourtant que nous allons changer le Monde avec un tel monument à la gloire de la culture mondiale. Nous devrions avoir un aval plus franc de la part du Hasard Objectif, ne croyez-vous pas ? » Hyt KOULADYB était agréablement abruti par le flot ininterrompu des paroles de la secrétaire. Il avait l’impression de s’entendre parler lui-même. Ils avaient tous si bien collés à sa propre idéologie du progrès, sa propre vision d’un monde meilleur, qu’ils étaient pour lui comme des extensions de chair. Il sut alors qu’après sa mort, il survivrai à travers eux. Sa migraine sembla s’assoupir. « Toujours est-il, Monsieur KOULADYB, que nous avons d’autres projets parallèles à soumettre au prochain conseil d’administration. Engager des poètes pour définir l’action du langage poétique sur la psyché et les mœurs, dans notre désir de trouver les mots qui soignent. Etablir un réseau de cyberphilo-cafés, où nous pourrions véhiculer les bienfaits de nos avancées technologiques et rajeunir encore la moyenne d’âge de nos bénévoles - je suis pour ma part entrée à la Fondation par le biais du « Mouvement », vous vous rappelez ?- et l’on me fait signe que notre administrateur, Monsieur ILTCHINE, aimerait beaucoup vous voir durant votre séjour à HOUBLON ; votre emploi du temps est le notre, Monsieur KOULADYB. » Brusquement, il sembla à Hyt qu’il se trouvait à nouveau à l’accueil de la Clinique, la veille, et qu’il revivait son profond désappointement après l’annonce de l’attaque du Professeur MOREAU . Son envie déçue de guérir, de savoir quel mal le rongeait, lui avait laissé l’impression d’être pris au piège, dans un cul-de-sac occulté par la grande faucheuse. Il avait fui. A présent, il comprenait que tout cela était stupide, infantile, et que sa peur de la Mort était plus forte que tout. La jeunesse des employés de la Fondation l’écœura soudainement ; mais Hyt KOULADYB cette fois-ci ne s’esquiva pas. « Dites à Monsieur ILTCHINE de me retrouver au hall d’accueil de la Clinique de HOUBLON , côté parc, dès 16 heures. Nous y discuterons ensemble. Mes amitiés à vos collègues et à vous même, Miss... » Même si elle ne répondit pas, Hyt KOULADYB n’attendit pas et raccrocha. De toute façon, elles s’appellent toutes Betty.. |
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Prochain épisode : Episode 09 : 3.Invocations / Pierre PAÏEN La suite directe de la narration |
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