OKéANOS

EPISODE 19

REINHARDT GESCHENKE

OKéANOS

5. Initiations.

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BANDE-SON

Reinhardt GESCHENKE avait trouvé fascinant le phénomène du tableau de LEVINAS. Au premier abord, il l’avait qualifié d’hallucination. Mais, bloqués qu’ils étaient tous deux sous des tonnes de décombres, il ne pouvait nier que la luminosité qui émanait du tableau les éclairait bel et bien ; le peintre lui-même l’avait reconnu. Mais quand il eut risqué un contact physique, du bout des doigts, avec l’œuvre surnaturelle, il ne fut plus sûr de rien. Sans doute hallucinait-il tout l’ensemble : ses doigts s’enfonçant au-delà de la surface peinte qui n’avait plus de réalité en soi, l’impression de froid et de vent qu’il ressentit, contrastant étrangement avec l’air sec et saturé du cocon que leur formaient les décombres, la transformation du sujet peint, illustrant la véritable résurrection d’un génie de cuivre auparavant représenté décapité, et qui en ces moments semblait lui tendre la main à son tour. Tout cela n’était sans doute qu’une hallucination. Sans doute l’œuvre du peintre qui reproduisait outrageusement sa propre œuvre poétique et méconnue en était une aussi, comme le peintre lui-même, métaphore des craintes secrètes qui l’habitait depuis le « vol » de ses songes. Et peut-être même que ce tremblement de terre n’existait que dans son cerveau malade et torturé. Il allait sans doute se réveiller d’un long somme, et réaliser qu’il venait de plonger à nouveau dans ses songes.

Ces spéculations l’aidèrent à affronter l’étrangeté de la situation, son impossibilité matérielle. Sa main était entièrement passée de l’autre côté. Allongé sur le sol encombré de ruines, il poursuivit sa reptation jusqu’à pouvoir toucher le génie. Une main alors le saisit, froide, dure, et le tira en avant. LEVINAS hurlait derrière lui, mais il était trop tard. GESCHENKE s’était enfoncé lucidement dans une zone plus profonde de son sommeil.

Le contact du génie lui rappela celui des statues de bronze des Jardins d’ANAMPE. Mais il fut un temps plus désarçonné par une inversion des perspectives que par la vie qui habitait l’être cuivré. En effet, il se retrouvait debout, et non plus allongé, sur les bords d’une falaise fumante et rouge, au bord d’un océan de sang se fracassant en écumes spongieuses sur la roche. Le génie le regardait, son air triomphateur avait cédé la place à une mine chafouine, un sourire en coin. Son regard était littéralement de braise ; deux petits points lumineux donnaient à ses yeux rouges orangés un air diabolique. Reinhardt était paralysé par l’effroi ; il avait l’impression d’avoir tendu la main au Diable. La créature, penchant la tête de côté, finit alors par prendre la parole. Sa voix était douce et ses manières raffinées.

« Il est temps de te payer le service que tu m’as rendu. Grâce à toi, j’ai pu débusquer la seule traîtresse qui aurait anéanti mon Grand Œuvre. La Dame est morte et consumée en son Jardin. Elle restait la seule à vouloir entreprendre des affaires avec ceux de ta race. A présent qu’elle n’est plus, les tiens n’auront plus à faire qu’à moi, et à moi seul. Sans ton lien privilégié avec La Dame dont tu appréciais la Voix, je n’en serais pas là, à demi incarné dans une représentation picturale. Tu vois, je me rassemble. Les parts dispersées de mon essence à présent se retrouvent. Tu as droit à un vœu, un seul, comme c’est la coutume, avant de redevenir un de mes sujets. Oh, n’aie crainte, je sais reconnaître et remercier les miens. Ton Oncle Werner l’a toujours su. Alors je t’écoute. Ordonne, il te sera obéi. »

Les paroles du génie bercèrent presque Reinhardt, qui sentait sa peur fondre et se muer en une réelle fascination. Le génie lui avait lâché la main, et attendait patiemment que Reinhardt fasse son choix. Celui qui se voulait poète observait ce qui l’entourait. Ils surplombaient une île, un volcan gigantesque, à la forme indécise. Le ciel et l’océan étaient rougis par le feu des entrailles de la terre. Cela ressemblait à l’Enfer, mais un Enfer sans damnation, sans manœuvre d’écrasement des pécheurs, un Enfer au sens où l’entendait William BLAKE, aérien, magnifique dans sa sauvagerie, accompli et en perpétuel mouvement.

Quel vœu s’accorder en rêve, si ce n’était le désir d’être certain de la stupéfiante réalité de ces choses, la volonté d’amener à la matérialité, au monde véritable et incarné, la puissance d’évocation des songes ? Reinhardt comprit que retrouver sa mémoire onirique serait un vœu mesquin, réalisable par un simple tour de passe-passe psychologique. Il comprit qu’il devait demander l’impossible, dépasser les limites d’un lien logique entre les choses pour faire sauter en éclats les valeurs toutes puissantes de la science de son monde moderne. Et, d’une voix presque aphone, rendue rauque par les méfaits doucereux de l’haleine de soufre du volcan, Reinhardt GESCHENKE s’adressa au génie de cuivre : « Je souhaite que cette île, toi qui y habites, moi qui m’y tiens, que tout ce monde à la beauté stupéfiante, devienne réalité, s’incarne et se fasse matérialité. Voilà mon vœu, Ô génie ! Exauce-le, puis je serai ton humble serviteur, avec toute ma gratitude. »

« Avec ou sans, peu m’importe. Tu seras mien désormais. Vois ! Vois comme s’entrouvrent ces nuées pour laisser place à cet azur que toi et ceux de ta race appelez ciel. Vois ton ordre s’accomplir, cet océan de soufre rejoindre un lieu que l’on nomme Pacifique. Et vois cette terre, gorgée de mon essence, baptisée Fondation de l’Œuvre restant à entreprendre. Tout ceci est plus réel que tu ne le penses. Et quand tu t’éveilleras de ce que tu crois être un songe, ne sois pas effrayé par cette réalité que tu viens d’invoquer. Sache reconnaître ma trace dans tout ce qui t’apparaîtra désormais. Je dois poursuivre ma quête d’incarnation, et toi dorénavant partagera ce secret avec moi : Il fut un temps où l’on m’appelait Maudit, où l’on m’écarta des voies de l’Harmonie et du Monde Incarné de la Maya. Le secret est le suivant : TYKO est de retour pour s’incarner parmi les hommes et les guider vers des rivages que nul n’ose encore imaginer. Deviens mon prophète. Propage ce que je t’inspirerai. Et va, à présent. Va ! »

 

Un vent violent se leva, il semblait émaner de la bouche même du génie qui s’était nommé TYKO. Il fut de plus en plus impossible pour Reinhardt de garder l’équilibre ; ses pieds glissaient contre la rocaille, et son corps était poussé vers le bord de la falaise. Des embruns de sable et de cendre lui fouettèrent les yeux. Tentant de s’agripper à quelque chose, il ne vit pas le génie disparaître, ni le sol sous ses pieds. Comme il tomba très soudainement, il hurla et se réveilla en sursaut.

 

Il vit face à lui une rangée de lits, tous occupés par ses semblables en état plus ou moins critique, puis autant à sa droite et à sa gauche. Il était abrité sous une bâche de tente à la lumière translucide. Aux premiers signes de son affolement, une bonne sœur vint à son chevet pour tenter de le calmer. « Tout va bien, mon fils. C’est le choc, le terrible choc. Vous êtes dans le camp d’urgence 42, dans ce qu’il reste de la Cité des Anges. Vous n’avez pas repris connaissance depuis que l’on vous a tiré des décombres. Comment vous sentez-vous ? »

Ca n’avait été qu’un rêve de plus, mais il s’en souvenait. Le tremblement de terre était réel, ainsi que sa présence dans la Cité des Anges, mais le reste, le peintre et ses peintures terribles et merveilleuses, avait dû être un songe. Reinhardt était presque déçu ; du moins avait-il retrouvé sa capacité de se rappeler ses rêves. Il se sentait gourd, un peu assommé, mais en bonne santé. Pas de douleur, juste une légère faiblesse générale. « Je vais bien, madame. Un peu désarçonné. Je crois que je voudrais de l’eau. Et puis j’aimerais me lever aussi. Combien de temps ai-je dormi ?

- On vous a amené ici il y a plusieurs jours maintenant. Vous avez eu beaucoup de chance. On vous a trouvé dans des décombres que les secours pensaient avoir déjà passées au peigne fin. Les Anges sont désormais séparés du reste du continent, vous savez. Il ne reste plus grand chose de l’ancienne cité. Une bonne partie a été engloutie. Si vous désirez vous lever, nous venons juste d’aménager une salle d’écranvision, avec orditel et quelques journaux. Profitez-en, mais sitôt que vous irez mieux, vous pourrez nous aider, nous manquons cruellement de main d’œuvre. »

Reinhardt admit poliment qu’il aiderait tout ce petit monde à sauver d’autres vies que la sienne. Mais un malaise restait présent en lui. Il avait l’impression que cet hôpital de fortune était moins réel que le songe qu’il venait de faire et qui venait de le tirer du coma. Le visage indéfini du génie de cuivre tanguait sous ses yeux comme des phosphènes récurrents. La bonne sœur lui indiqua la salle d’écranvision, où Reinhardt espérait renouer avec la réalité qui l’entourait.

Bien entendu, on ne parlait que de cela. Des polémiques s’étaient ouvertes, et le tremblement de terre des Anges était, ainsi que tous ceux ayant frappés les côtes du Pacifique, relégué au second plan. Il était question de l’appartenance de l’île volcanique apparue au beau milieu du Pacifique, certainement responsable des fracas sismiques. Le Député européen BETELA en était légalement le propriétaire, car il avait été le premier à en fouler le sol. Mais quelques états mécontents, comme le NEW MEJICO, demandaient qu’un partage des terres soit fait entre tous les pays sinistrés. Quand apparurent sur écran les images de l’île filmée depuis un hélico, Reinhardt GESCHENKE ouvrit grand la mâchoire d’hébétude. Son vœu avait semble-t-il été exaucé. Et cela signifiait qu’il n’avait rien rêvé.

 

Comme dans un poème de Paul HOVERCRAFT surgissant en sa mémoire paniquée, assurément de circonstance tant pour cette île que pour sa propre position de « prophète de TYKO », une naissance nocive avait eu lieu depuis la mer; un pays oublié aux flèches dorées recouvertes d’algues ; le sol s’était fendu, et de folles aurores avaient roulés sur les citadelles tremblantes de l’Homme. Reinhardt conclut à haute voix, malgré lui, les derniers vers de NYARUTHOTEP : « Alors, écrasant ce qu’il s’était hasardé à modeler par jeu, le Chaos idiot dispersa les cendres de la Terre. »

Reinhardt GESCHENKE / Daniel LEVINAS

Leurs EPISODIES

Première partie : Racines au pouvoir

2. Visitations

Episode 02

Deuxième partie : Le Volcan dans l'Océan

4. Fondations

Episode 14

5.Initiations

Episode 19

6. Manipulations

Episode 22

Episode 23

Prochain épisode :

Episode 20 : 6.Manipulations / Pierre PAÏEN

La suite directe de la narration

Episode 22 : 6.Manipulations / Daniel LEVINAS

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