OKéANOS

Episode 24

Pierre PAÏEN

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6. Manipulations.

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BANDE-SON

«Je vous demande pardon, Docteur PAÏEN ?»

Trois jours s'étaient passés dans la trépidante routine de la Clinique. PAÏEN n'avait toujours pas fait la démarche de demander une dérogation exceptionnelle pour franchir le barrage de quarantaine de l'aile EXP 40, qui de toute façon devait prendre fin à la fin de la semaine.

Il savait au fond de lui quelle peur l'avait retenu, et pour pouvoir s'y confronter, il avait fait sien le bureau du Professeur MOREAU, afin de mieux comprendre le personnage. Très vite, il réalisa que c'était peine perdue ; les papiers les plus essentiels à sa démarche, ceux traitant du dossier ONIROSCOPE, reposaient dans un coin de l'aile isolée, ainsi que le Professeur, cloîtré Chambre 66. Betty du matin se tenait devant le bureau où était assis PAÏEN. Une fois encore, au milieu des prospectus étalés, fleuris de logos CBI FreeWorld SERVICES, Fondation DANSTLINGER, exposition Daniel LEVINAS, AsiMove Orditels Computers..., Betty le surprenait à parler tout haut avec son grand autre. Il avait l'impression que cela lui arrivait de plus en plus souvent. Il crut que Betty lui avait demandé quelque chose qu'il n'avait pas entendu. « Pardon Betty, vous disiez ?...

- Les patients... en liste d'attente... Un lit vient d'être libéré, qui prenons nous en priorité ? »

Aah !… PAÏEN raffolait de ces considérations totalement subjectives ; quoi qu'on en dise, un nom pouvait paraître plus sympathique qu'un autre tandis qu'une lourde pathologie à soigner d'urgence pouvait s'appeler Dugenoux. Classer selon la période d'attente que venait de faire le patient n'était guère plus approprié. Et la teneur des soins était souvent mal évaluée en aile d'attente, gérée par des généralistes brillants mais peu spécialisés. D'habitude, PAÏEN faisait alors un petit jeu. Comme un tiercé gagnant. Il isolait ceux qui, d'entrée, ne requéraient pas de gros travail. Un seul lit de libre, cela voulait dire qu'il ne s'en libérerait pas plusieurs de sitôt. Fort heureusement, aucun cas urgent ne monopolisait son choix. Il put s'y retrouver avec les derniers candidats, ceux qui venaient d'arriver et qui présentaient des pathologies mal définies : Troubles du sommeil. Choc post-sismique…

 « Choc post-sismique ! Qu'est-ce que cela veut dire, Betty ?

- Il arrive tout juste de La Cité des Anges. Daniel LEVINAS. PAÏEN sursauta. Il souffre de troubles du sommeil, cauchemars récurrents, toute la pathologie habituelle... Un homme charmant !

- Prenez celui-ci. Je vous rejoindrai, je dois prendre mon service. » lâcha-t-il finalement comme Midi sonnait. Il s'empara de la poignée de prospectus du Professeur MOREAU et quitta précipitamment le bureau.

Oui. C'était troublant. En quête inavouée d'un signe du père MOREAU, il lui avait fallu attendre trois longues journées, presque trop tard. Il aurait été trop bête de passer à côté d'une occasion pareille, et cela simplifiait agréablement son petit jeu de dada gagnant. Il était bien question du peintre Daniel LEVINAS sur ce tract de la Fondation trouvé sur le bureau de MOREAU. LEVINAS : Peintre rompu à l'Intelligence Active, pouvait-on y lire. Parfait ! Il me faudra à moi aussi un sujet d'expérimentation à présenter. KOULADYB ne peut pas prétendre travailler seul avec ILTCHINE sur les rêves lucides. Un atout supplémentaire vacilla dans sa conscience, et le fit trembler du bas vers le haut de sa colonne en une longue vague froide.

« Merci Docteur, j'ai demandé à ma sœur de mettre un cierge pour moi, et un pour vous, pendant l'opération. Je sais que ça ne peut pas rater...

- Bien sûr ma bonne dame, ça ne peut pas rater... »

Quelquefois, dans un sens, PAÏEN enviait leur foi aux croyants. Comme il devait être doux, en période de difficultés, d'aller chercher réconfort auprès de Notre Dame De La Miséricorde ! Les croyants pouvaient prier, ils avaient l'illusion qu'un plan divin régissait le meilleur des mondes possibles ; alors que moi, se disait-il en terminant sa visite aux prochains opérés, je dois survivre dans des limbes lugubres et tourmentés, tristement conscient de l'absurdité d'un univers où ne surnage qu'une seule vérité : l'Entropie Gagne Toujours.

D'accord Seigneur ! J'abandonne. A partir de maintenant, tu peux reprendre les rênes ! Et puis... Seigneur, faites que l'encéphalite de la petite fille du 5 s'atténue, faites que je n'ai pas d'accident de voiture après une lourde intervention, ne les laissez pas assassiner aussi ce député-là, donnez aux races le temps de vivre en paix avant que les musuls ne viennent incendier ma maison, faites qu'on ne jette pas de bombe dans la salle EXP 42 cette semaine... faites que l'agneau puisse se coucher aux côtés du lion...

Alors oui, dans le cas où je crois en ton existence, oui, le rêve de MOREAU sera terrible, car il t'appelle du fond des ténèbres. Mais je ne crois pas en toi. Il n'y a pas de volonté qui sommeille au fond de cette machine maudite, rien que quelques rêves...

C'est décidé. Je le ferai et n'aurai pas peur. C'est le seul moyen de regagner l'autorité de ma propre équipe et reprendre la recherche en main.

Il s'arrêta un instant à l'Espace Tabac Jeux Librairie Cafétéria qui n'avait semble-t-il pas désempli ces derniers jours. Le murécran diffusait toujours ses informations sur les séismes, l'île nouvelle, le Député BETELA, et Spot MANDLEBROT retrouvé naufragé dans un état épouvantable, disloqué, brûlé, mais vivant. On faisait état de son rapatriement rapide du Chili vers GERMINSTON, où une clinique, très certainement concurrente de celle de houblon, se proposait de reconstituer l'intégrité tant physique que mentale du Champion Mondial de Boxe Poids Lourd. Un nouveau séisme menaçait de frapper la Cité Des Anges et finir d'inonder ce qu'il en restait. Fort heureusement, une évacuation globale était organisée, et il s'agissait à présent d'une course contre la montre. On parlait de l'héroïsme de certains rescapés portés volontaires pour aider à l'évacuation et qui acceptaient de fait d'être les derniers partis. Mais aussi, on parlait par moment de KOULADYB, l'architecte qui avait garanti son travail de rénovation de la Cité à l'épreuve des tremblements de terre, et qui devait maintenant bien admettre, malgré son silence média, la futilité et la vanité de ses travaux.

Voilà le lien, se dit PAÏEN. Comme tous les travaux de KOULADYB sont dénigrés, lui rêve de fonder un Monde Nouveau. Qu'il pense à une île n'a rien d'extraordinaire. Ce qui l'est, c'est qu'une île, effectivement, a émergé des eaux. Les infos parlent d'une explosion sous-marine à l'origine des séismes. L'esprit génial de KOULADYB aurait-il pu percevoir l'onde de choc et s'en emparer en rêve pour la mener à une même conclusion ? Comment expliquer cette synchronicité ?

Tout en quittant la Cafétéria et se dirigeant vers la chambre du nouvel élu Daniel LEVINAS, PAÏEN poursuivit distraitement sa lecture du livre de KOULADYB. Il y était justement question de synchronicité. Tout le Chapitre 17 y était même consacré. L'utilisation soudain intense de l'Intelligence Active développait un symptôme bien connu des mystique en plein enthousiasmos : les coïncidences et les rencontres décisives se précipitaient en un rythme croissant, atteignait un pic avec un événement décisif, puis décroissait jusqu'à ne plus paraître qu'une illusion. La synchronicité était expliqué en des termes douteux pour PAÏEN :

"La Synchronicité est la preuve qu'il existe un temps proche du temps divin, où macrocosme et microcosmes se rejoignent pour ne former plus qu'un. Pour Saint Thomas d'Arlequin, c'est là la preuve même de l'existence et l'essence de Dieu."

Il ne prend pas de risque, pensa PAÏEN. Il n'écrit pas lui-même qu'il est croyant, mais le laisse à comprendre. Il était arrivé à proximité de la Chambre 21, fraîchement occupée par le rescapé des Anges, lui même au centre d'une terrible coïncidence. La porte était entrouverte, et il entendait la voix de Betty faire son explication des règles de la Clinique, les heures de visites, les activités proposées en période d'examens ou de convalescence... En franchissant le seuil, le Docteur découvrit un homme amaigri, au visage sympathique et ouvert, mais cruellement marqué par la fatigue et les coups. Il parcourut rapidement la fiche d'accueil. « Bonjour Monsieur LEVINAS. Je suis le Docteur PAÏEN, et très heureux de vous accueillir dans mon secteur. Je constate que vous arrivez de La Cité des Anges et que vous habitez... Tiens !... à ANAMPE ! C'est très amusant, je suis Anampien moi-même !

- Amusant en effet, Docteur, lâcha le moustachu sans vraiment feindre un quelconque amusement. Au regard de ce qu’il venait de lire dans le Kouladyb, cela n'amusa finalement pas PAÏEN non plus. De quel quartier d'Anampe êtes-vous, Docteur ?

- J’ai grandi dans le quartier du Muséon, rue de l’Hucimbes. Mon grand-père y était imprimeur. Et vous Monsieur LEVINAS ?

- Je ne suis pas originaire d’ANAMPE, mais j’y vis depuis si longtemps… J’y ai fait toute ma carrière de peintre après mes débuts ici même, à HOUBLON. Mon atelier est situé… est… » Le peintre éclata en sanglots. « Pardonnez-moi, Docteur, mais je me sens si loin de chez moi, de mon atelier où il me tarde de tout reprendre à zéro, et entendre l’accent d’ici... me bouleverse…

- Il n’y a pas de mal à cela, Monsieur LEVINAS. Nous allons bien nous occuper de vous, et vous serez un homme neuf en sortant d’ici. Vous venez tout droit de la Cité des Anges ; racontez-moi un peu ce que vous y avez vécu. »

L'enchaînement de coïncidences ressenti des deux côtés eut le mérite de rapprocher très rapidement les deux hommes. C'était de doute façon dans l'intérêt de leurs manipulations respectives : PAÏEN cherchait son rêveur lucide, et le peintre devait s'informer pour TRITTI des agissements du Docteur à la Clinique. Après l’exposé sommaire du traumatisme et de la position du peintre, PAÏEN chercha à en apprendre d'avantage sur les troubles du sommeil de LEVINAS. Je dois parvenir à éveiller son intérêt pensa LEVINAS. Et après une longue inspiration, le peintre rejoua son témoignage et ajouta même des détails.

« J’ai toujours eu un sommeil plutôt lourd, peuplé de rêves surréalistes, qui me laissaient souvent l’impression de n’avoir pas imaginé, mais d’avoir réellement vu des scènes cosmogoniques. Un homme que j’ai rencontré aux ANGES m’a même affirmé qu’il avait rêvé de mes toiles alors qu’il ne connaissait rien de mon œuvre. J’ignore quel fond scientifique l’on peut développer à partir de cela, mais juste après le tremblement de terre, alors que le raz de marée allait tous nous engloutir, j’ai vu, avec la froide conscience de la réalité, cet homme disparaître progressivement dans un de mes tableaux. Je suis coutumier des hallucinations, vous savez, j’ai appris à la FONDATION DANSTLINGER la technique KOULADYB de rêve lucide.

- Voilà qui est passionnant, Monsieur LEVINAS ! PAÏEN n’en revenait pas.

- Oui, Docteur. Et je pense encore être capable de faire la distinction entre un rêve lucide et la réalité. Alors dans ce cas, je ne m’explique pas qu’on puisse avoir disparu dans une de mes toiles. C’est l’une des raisons de ma demande de soins. Je ne souhaite pas devenir fou.

- Personne ne souhaite cela, Monsieur LEVINAS. Vous me parliez de plusieurs raisons ?…

- Oui. C’est troublant à dire, mais j’ai fait une sieste cet après-midi, un chat sur les genoux. Et en me réveillant, cinq minutes plus tard, j’ai réalisé que je venais de plonger à nouveau dans l’enfer des Anges, ou plutôt comme si j’étais plongé moi-même dans ce foutu tableau. Je sentais la présence du chat à mes côtés, pas dans le canapé où j’étais assoupi, mais près de moi dans le rêve. Je sais que c’est absurde, mais le sentiment que j’ai m’incite à croire que c’était vrai, que le chat et moi faisions un rêve ensemble. Il ne m’est jamais arrivé de m’assoupir et de rêver aussi immédiatement. Je sais que c’est le signe d’une très intense fatigue. Pour finir, j’entends des voix, plus exactement la voix d’une vieille cinglée de HOUBLON pour qui j’avais commencé le tableau en question…

- Vous avez plongé à nouveau dans ce tableau… commenta doucement PAÏEN en prenant des notes fébriles.

- Oui, Docteur. J’ai pris la décision de refaire toutes mes toiles sauf celle-ci. Pour cela, je dois être remis d’aplomb. Mais ce que je désirerais m’assurer avant tout, c’est que je n’aie pas subi de traumatisme crânien, ou de choc psychologique trop énorme, qui me condamnerait à ces récurrentes visions. Halluciner n’est pas ce qui me fait peur, c’est la perte du contrôle sur la réalité qui me bouleverse le plus. Et mon métier ne me le permet pas. »

 

Ce n’était plus un jeu de dadas, c’était la Providence ! A la fin d'un entretien d'une heure, PAÏEN était ébloui. Un peintre rompu aux exercices même de KOULADYB en matière de rêve lucide, financé par la Fondation DANSTLINGER, qui a des visions terribles et recouvrant elles aussi des synchronicités concernant indirectement la naissance de l'île... Seigneur, merci, je le tiens mon rêveur lucide qui va pouvoir me permettre de réintégrer l'équipe de l'ONIROSCOPE.

 

Une sourde pensée s’ajouta d’elle-même dans l’esprit de PAÏEN. Et permettre de me confronter à L’Abomination de MEINSTERSTADT ...

Son EPISODIE

Première partie : Racines au pouvoir

1. L'Abomination

Episode 01

3. Invocations

Episode 09

Episode 10

Deuxième partie : Le Volcan dans l'Océan

4. Fondations

Episode 13

6. Manipulations

Episode 20

Episode 24

Prochain épisode :

Episode 25 : 6.Manipulations / Adrian BETELA

 

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