OKéANOS

Episode 10

HYT KOULADYB / Pierre PAÏEN

OKéANOS

3. Invocations.

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BANDE-SON

Après avoir commandé son déjeuner, Hyt KOULADYB s’était penché sur la revue de presse quotidienne qu’on s’employait à lui effectuer dans une agence internationale de la côte Est des USA. Il était question d’un article imminent à paraître dans le magazine « All Stars » ; une employée infiltrée dans les réseaux journalistiques était parvenue à en soutirer les grandes lignes ; « Le clan KOULADYB », tel était nommé le dossier, traitait des défaillances possibles d’un Empire dirigé par un vieil homme fatigué qui refusait de passer la main. Un organigramme de la Fondation DANSTLINGER et ses liens aux industries CBI faisait partie des pièces « choc » du dossier signé Paul TRITTI. Tritti. J’ai entendu ce nom-là quelque part... Sans doute à la Clinique.

KOULADYB fut donc contrarié tout le long de son déjeuner. Il s’appliqua ensuite à rédiger son laïus hebdomadaire pour « Nouvelles Vies ». Il était content de pouvoir profiter de telles plages éditoriales pour se passer les nerfs. « Commanditaires et mécènes » serait un article mineur ; sa conclusion toutefois démontrait une volonté d’en revenir plus aisément à une politique de mécénat, « accord tacite fondé sur un réel coup de cœur, plutôt que de scléroser les commanditaires de contrats de soutien et d’aides fiscalement déductibles. L’énergie de l’argent se doit d’en revenir à une éthique plus aristocrate que marchande, fondée sur une réelle valeur morale ou esthétique des choses. Le mécénat, donnant tout, reprenant tout aussi facilement, s’avère être et demeurer un principe plus dynamique, poussant le bénéficiaire à titiller toujours plus l’intérêt de son mécène. Les grandes œuvres de l’ère moderne ne pourront se déployer du carcan encore tangible du Vingtième Siècle que par une réelle volonté d’en revenir à des principes plus nobles. » Et KOULADYB se sentait prêt à mettre ses secrètes menaces à exécution : si l’Université Clinique de HOUBLON ne titillait pas son intérêt, et ne le tirait pas d’affaire quant à ses migraines, il leur couperait toutes les subventions, dusse-t-il créer un cas de jurisprudence.

Aussi était-il fin prêt lorsqu’on lui annonça l’arrivée du chauffeur devant le conduire à la Clinique, devant le Docteur PAÏEN. Hyt fut presque désappointé de ne pas souffrir pour l’occasion, et se laissa conduire. Il appréciait d’avantage ce protocole. « Tout est de la faute de ces maudits journalistes, j’ai fui à GERMINSTON, j’ai fui à l’aéroport, j’ai fui à la Clinique, tout cela pour me jeter en plein dans leurs pattes sans y être préparé. Pas étonnant qu’on m’ai taxé de vieux et fatigué ! Ah les salauds ! » Le chauffeur, qui avait souvent accès aux délires quasi inconscients de ses clients, restait imperturbable. Dans la sécurité automobile, plus d’un retrouvait des réflexes primaires et régressait comme s’il se sentait materné.

Un bipeur prévint Pierre PAÏEN de l’imminence de l’arrivée de Monsieur KOULADYB. Il sortit de son bureau où tout était prêt, descendit les marches des trois étages qui le séparaient du hall d’accueil, profitant de la petite foulée pour dégourdir son corps et son esprit, « Tamatamayoga », et fut le premier arrivé. Courir et partir à point était pour lui le compromis aimable du lièvre et de la tortue. Il s’accorda un léger détour près du petit kiosque à journaux, dans l’Espace Fumeur des patients en désintox’, inspira trois petites bouffées d’air tabagique l’air de rien en jetant un regard dégagé sur les journaux.

Le nom était là, écrit en très grosses lettres. KOULADYB. C’était le dernier et tout frais livré numéro de l’hebdomadaire « All Stars », et le portrait d’un Hyt KOULADYB vieillissant, de trois quart face, faisait la couverture, illustrant un dossier spécial : « Le clan KOULADYB - enquête dans une entreprise mondiale ». PAÏEN s’était saisi du numéro. Ses mains tremblaient et il inspira deux longues bouffées de plus. On commençait à le regarder du coin de œil. Un patient un peu plus déluré que les autres apostropha le Docteur: « Moi j’fume ma dernière, Docteur. Mais j’retiens bien la combine... » PAÏEN se sentit symboliquement démasqué. Un vent de panique décoiffa sa barbe, qu’il se gratta en réglant le prix du magazine à la petite marchande de journaux tabac jeux loisirs. KOULADYB allait arriver, on faisait mention dans les derniers bulletins de sa mauvaise humeur déconcertante, un article du « All Stars » semblait le démonter pièce par pièce, et lui, le Docteur PAÏEN, allait devoir cacher à cet homme agacé la véritable nature de ses recherches, sans prétendre au poste de prochain licencié. Comme il traversa solennellement le hall, comme au ralenti, il sentit peser sur ses épaules le poids de l’Université Clinique, comme Atlas soutenant l’équilibre du Monde face aux catastrophes cosmiques. Derrière la baie vitrée, il aperçut la voiture de maître arriver depuis l’entrée du parc de repos. Il prit instinctivement une allure décontractée, efficiente, comme si le conditionnement de son travail restait plus fort que ses propres angoisses. « Tamatamayoga ».

Hyt KOULADYB pesta encore un peu en ronchonnant que c’était de la faute de l’Université Clinique si les journalistes l’avaient retrouvé. Le chauffeur, pourtant toujours alerte à défendre l’image de son employeur, ne releva pas cette fois-ci. Il lui arrivait parfois de vendre lui-même tel ou tel tuyau à des journalistes un peu fouille-fientes. Et si ce n’était pas lui qui les avait personnellement prévenus la veille , c’était peut-être bien quand même la faute à la Clinique, quand même ! En serrant le frein à main, il lâcha à KOULADYB : « Vous pourrez sortir par ici tout à l’heure. Hall côté parc. Je vous reconduirai discrètement où vous le désirerez. » Puis il descendit, fit le tour du véhicule, nota que le Docteur PAÏEN observait tout depuis la baie vitrée, ouvrit la porte côté passager et laissa descendre le vieil homme.

PAÏEN s’avança à la rencontre de KOULADYB. Il sentait son esprit souple et disponible. Sa nervosité avait fini par totalement disparaître quand il vit Monsieur KOULADYB en chair et en os, voûté et un peu plus petit qu’il ne se l’était imaginé. Moins impressionnant en tous les cas. Et pas de protocole, de délégations. C’était une visite de courtoisie, sans aucun doute. PAÏEN pourrait faire visiter les différents départements comme un guide de musée, ce ne serait pas plus compliqué que cela.

KOULADYB passa par le sas vitré et les portes automatiques du hall d’accueil. Il était enfin satisfait des conditions de sa visite ; plus discrète, moins fantasque aussi. Il était attendu, et vit un grand homme à la grosse barbe rousse venir à sa rencontre, la main tendue. Sur sa blouse blanche était badgé: « Docteur P. PAÏEN - dépt N.Ch ». Ainsi, voilà donc mon Ange du jugement, mon diagnostiqueur ! pensa Hyt. Cet homme à barbe et à l’air jovial sera peut-être celui qui m’annoncera ma condamnation, ou ma Rédemption... Et Hyt KOULADYB, la main tendue à son tour, enchaîna: « Docteur PAÏEN, je présume ? » de façon si cordiale que le Docteur faillit répondre spontanément: « Monsieur Montagne ? » mais se contenta d’arborer un sourire béat et d’annoncer : « Soyez le bienvenu chez vous, Monsieur KOULADYB. »

Le Docteur avait un journal glissé dans la poche de sa blouse. KOULADYB pensa qu’il avait à faire avec un homme de potins, attendant comme son pain quotidien sa ration d’informations croustillantes. Il lâcha, d’un ton glacial: « C’est vous qui avez fait venir les journalistes ici, hier ? » Et comme le visage du Docteur s’empourpra d’indécision, Hyt enchaîna: « Ne faites pas cette tête ! Il est juste que les gens aiment s’informer. Mais je déplore que vous ne m’en ayez pas fait part, hier. Vous aviez organisé une conférence de presse sur le pouce ? Je croyais que le secret médical... » mais PAÏEN l’interrompit. « Vous surprenez à bon compte ma confusion, Monsieur KOULADYB, mais je crains de n’avoir pas été mis au courant de la présence de journalistes, hier à la Clinique. Quant au secret médical, je ne vois pas en quoi il serait remis en question par votre visite éclair d’hier, Monsieur.

- Vous n’avez donc aucun respect pour le secret de la consultation ? Que vous a-t-on appris à ANAMPE, Monsieur PAÏEN ? Je venais consulter le Professeur MOREAU, en toute discrétion. Et je suis cueilli à ma sortie par une horde de journalistes me demandant des nouvelles de ma santé. C’est une aberration ! »

PAÏEN se tut, mouché. Une consultation ! Ce n’était pas là une visite d’inspection ou de courtoisie pour le grand architecte, mais une visite médicale. Il lui faudrait jouer d’autant plus serré. Que vous a-t-on appris à ANAMPE, avait dit KOULADYB. C’était bien lui qui avait fait son enquête sur orditel ce matin. Un partout, j’ai eu raison de laisser filer les infos devant Max.

Le silence se rompit. PAÏEN proposa à KOULADYB de le suivre dans ses laboratoires. Hyt KOULADYB ne voulut rien dire de plus tant qu’ils n’étaient pas au bureau de consultation. Dans l’ascenseur, une musique sirupeuse fit semblant de dégeler l’atmosphère. Il va vouloir rénover, se dit PAÏEN. Il faut que ce ne soit pas grave, Seigneur, faites qu’il n’ait rien de grave... Il poussa la porte de son bureau de consultation et indiqua à KOULADYB le conformtable siège où il pourrait s’asseoir, de trois quart face par rapport à l’étagère de la bibliothèque où étaient alignés les livres fraîchement empruntés. KOULADYB choisit le fauteuil d’à côté. Dépité, PAÏEN fit le tour de son bureau (« Tamatama ») puis lâcha d’un ton docte je vous écoute Monsieur KOULADYB.

« Depuis quelques temps, un an environ, je souffre d’atroces migraines derrière l‘œil droit, malgré mon hygiène de vie irréprochable, mon sens du repos et la qualité de mon alimentation gastronomique et spirituelle. J’ai fait appel à vos services, sachant que l’Université Clinique a toujours représenté un modèle en qualité de diagnostic. On m’a conseillé le Professeur MOREAU, mais votre secrétaire d’accueil m’a informé de son attaque. J’espère que ce n’est pas trop grave...

- Pas trop... » répéta lentement PAÏEN, ne sachant si KOULADYB compatissait ou s’il parlait de son cas personnel. « Nous allons procéder à un petit scanage, et déterminer la nature du mal. J’ai effectué moi-même le programme d’étude sur les migraines spontanées et récurrentes. Nos appareils et nos tests sont sans doute les plus performants, et pour cela grâce vous en soit rendue, Monsieur KOULADYB. Si vous voulez bien me suivre à nouveau (Plonger à nouveau), je vous mène vers les laboratoires. »

PAÏEN tenta de ruser pour qu’en le suivant du regard, KOULADYB pose distraitement les yeux sur ses ouvrages exposés ; mais KOULADYB ne daigna pas lever les yeux, et fit une moue impatiente pour marquer son apprêtement. Ils traversèrent ensemble un couloir, puis un alignement de chambres d’attente, pour enfin aborder le scanner et son assistante. Hyt dut se mettre torse nu dans une petite cabine, chauffée à 19°C, puis fut allongé délicatement sur la planche défilante vers la gueule béante de l’appareil aux yeux de vérités internes. PAÏEN recommanda à son patient de respirer lentement, en laissant s’oxygéner les capillaires pulmonaires. La lumière rouge et verte du scanner eut l’effet immédiat de réveiller la migraine de KOULADYB, presque utile encore une fois, pertinente tout au moins.

Alors qu’il était presque totalement glissé à l’intérieur, Hyt lâcha au Docteur PAÏEN: « Ne me prescrivez pas de PHR en cas de surmenage, ou je vous fait un procès, Monsieur PAÏEN. » Et le Docteur sut qu’il devait marcher encore d’avantage sur la pointe des œufs sans casser les pieds, ou quelque chose comme ça.

PAÏEN tenta de se concentrer sur l’image multicolore du scanage, mais une vive hésitation laissa le Docteur indécis. Il me parle du surmenage soigné au PHR du Professeur MOREAU ; quel idiot j’ai fait en réécrivant à la va-vite le diagnostic sur l’orditel : Du PHR ! Pas étonnant qu’il trouve cela déplacé. Il va vouloir voir le Professeur, c’est sûr... Et tandis que le chariot fit sortir Hyt KOULADYB de l’autre côté du tapis de défilement, PAÏEN scrutait sans le quitter l’écran témoin où s’était profilée sa silhouette allongée. Le corps était dans un état remarquable pour un homme de soixante dix ans. Pas de désordre osseux, pas de trace de cellule cancéreuse, et dans le crâne, aucune trace de surtension ou de vaisseau sanguin bouché. « Derrière l’œil droit, m’avez-vous dit, Monsieur KOULADYB ? » Et quand PAÏEN surprit l’air inquiet d’Hyt KOULADYB, il comprit qu’il tenait là une arme contre la curiosité probable de son patient. « Oui Docteur, derrière l’œil droit. Mon ophtalmologiste m’a confirmé que l’œil n’avait subi aucun dommage, et qu’il devait s’agir d’une douleur d’ordre cérébral. Vous la voyez ? » La douleur avait gagné Hyt KOULADYB, et à présent qu’elle n’était plus d’utilité pour le diagnostic, elle lui parut d’autant plus insupportable. « Que voyez-vous, Docteur ? »

PAÏEN mit un temps calculé pour répondre, quelques secondes où il regarda le vieil homme droit dans les yeux. C’est un homme traqué par la peur. Je dois bien peser mes mots si je veux m’en sortir.

« Rien, mais... » finit il par dire. « Rien? » KOULADYB se montrait sceptique et agressif. « Vous voulez dire qu’il n’y a rien, ou que votre machine n’a rien décelé ?

- Je ne vois rien ici. Pas de douleurs dorsales pouvant vous irriter la nuque ou la tête. Pas de trace de cellules malignes, pas d’infection. Je vous propose de passer dans un scan un peu plus petit, pour que nous ayons une topographie plus précise de votre cerveau ; mais si rien n’est décelé, je devrais peut-être vous aiguiller sur le service de psychiatrie somatique...

- Ma santé mentale n’est pas en jeu ! » lança violemment KOULADYB. Puis, réalisant que de tels excès de colère pouvaient soutenir le contraire, il se ravisa. « Excusez-moi, mais je voulais simplement dire que j’ai effectué plusieurs analyses, et que mon psychisme n’a plus de secrets pour moi. Je suis certain que nous ferions fausse route en psychiatrie. Allons donc voir ce scan N°2. »

 

Il s’agissait d’un gros casque, du même modèle de base que celui - débranché - de l’ONIROSCOPE. Tandis qu’il installait son patient sur le siège conformtable, le Docteur PAÏEN récita son laïus sur les tests de résolutions mentales et neuro-électriques du cerveau, litanie qu’il avait maintes fois répétée aux étudiants lors des tests de relevés topographiques. « Monsieur KOULADYB, je suis fier de vous présenter l’Interscan, notre dernière innovation en matière de relevés cérébraux. Nous allons dès à présent envoyer à différentes zones de votre cerveau de légères impulsions électriques qui vont susciter, comme dans un moteur à deux temps, une réponse qui sera décodée par l’Interscan et répertoriée. Nous obtiendrons à la fin du test une vision globale de l’ensemble de vos connexions cérébrales. » Et il ajouta, en forme d’épilogue personnalisé: « Ainsi ne tarderons-nous pas à obtenir une réponse à vos migraines récurrentes, et pourrons-nous aviser quant au choix du traitement.

- Opération ou neuroleptiques » enchaîna Hyt KOULADYB, l’air rogue.

L’architecte ne savait pas quoi penser de ce Docteur PAÏEN, de ses tests, de ses machines et de ses secrets. Il était furieusement agacé d’avoir à faire à un tel personnage pour traiter le mal qui le rongeait. Pas de cellules malignes. Dieu soit loué! C’est au moins cela! pensa-t-il. Et il ajouta à voix haute: « Cet appareil lit-il dans les pensées, Docteur ? »

PAÏEN hésita un quart de seconde de trop pour être convaincant. Il fit mine d’éclater de rire en gratouillant sa barbe l’air faussement gêné, mais il était gêné pour de bon. « Non, Monsieur KOULADYB, bien que la chose puisse être follement passionnante. Toutefois, efforcez-vous de ne penser à rien. Les impulsions que vous allez recevoir vont vous donner l’impression, la sensation de penser. Laissez votre cerveau seul répondre, et non votre pensée. Tout au mieux, récitez vous une Fable de LA FONTAINE, ce sont des paramètres que je peux isoler du reste des relevés. »

KOULADYB arborait un air stupéfait et incrédule quand PAÏEN le couronna du casque de l’Interscan. L’espace d’une seconde, le Docteur revit le visage d’André MOREAU coiffant un casque similaire. KOULADYB se serait-il porté volontaire pour une expérience pareille? Je suppose que son cauchemar aurait été peuplé de cellules cancéreuses, comme des gros crabes dévorant des carcasses de mouettes au bord d’un océan rouge sombre... PAÏEN se demanda s’il n’aurait pas mieux fait de présenter le Projet ONIROSCOPE à KOULADYB. Non, il vient pour une simple consultation. Nos ennuis ne l’intéresseront probablement pas, et nous porteront préjudice. Et les tests sur nos étudiants ont été clairs: les relevés ne sont jamais aussi précis que lorsque le sujet ignore qu’on peut décoder ses pensées en mots. Toujours la pesanteur de l’esprit rationnel altérant la subtilité du test. C’est bien pour cela qu’on en est venu à l’anesthésie et au rêve. Racontez-moi votre dernier rêve, Monsieur KOULADYB...

PAÏEN souriait en connectant l’interface CBI au scan. Je vais savoir ce que Monsieur KOULADYB ne sait même pas penser. Et il ordonna au vieil homme: « Respirez lentement et bien profondément pour irriguer les vaisseaux, Monsieur. » Puis il envoya les premières impulsions, correspondant aux images perceptives. Sur l’écran, en deux colonnes question / réponse, les impulsions étaient retraduites en mots, comme un étrange poème surréaliste. PAÏEN adorait ce côté de l’Interscan...

 

Qu’auras-tu apporté ?

La question tissant des chaussettes.

Qui a choisi la laine à apprendre à compter, sentir les fleurs pousser ?

Faire un jardin sur Terre, toujours plus âcre après l’avoir vidé.

 

Qui donne sens à ta vie qu’on ne voudrait plus faire ?

L’horripilant mensonge

de tes seules mains à ne pas savoir faire de vaches en quartiers.

 

PAÏEN était un peu surpris de noter la présence du mot « mensonge » après l’émission du mot « sens ». Il est clair qu’il ne pense pas à rien, et certainement pas à une Fable de LA FONTAINE. Est-ce qu’il croit que je lui mens ? Que peut-il bien savoir au juste ?

Qui a fait ces images dépouillées de leur goût qui te permettent la vie ?

Faire par toi-même, t’assurer comment marche le Monde,

et qui saurait te dire dont tu ne peux l’amour de sucre

pour que vive ta vie au matin.

Il est clair que sa place face au Monde entier joue un rôle singulier dans sa pensée. Mais quelle est cette crainte formulée par « ta vie au matin » ? Je ne vois pas trace de déviation nerveuse ou de problème neurologique... Un refoulement ? Voyons voir...

 

Qui apprend à ton fils ?

Traire la Bête, dans le ventre de laquelle l’eau est déjà puisée.

Qui a dit ces mensonges ?

Comment jouir quand le coq est en boîte, avec ou sans modération, chimiquement sain, d’une vie sans rien faire de matières synthétiques ?

 

Un refoulement ! C’est cela ! Il répond à une question par une autre. Il y a une zone de sa pensée qui lui reste occultée. C’est une chance qu’il n’y ait pas de cancer.

 

Qui pose les questions ?                                                                  

Les oiseaux de fer, les meubles qui les habitent.

De qui fais-tu l’ouvrage ?

Le lait en cube-carton que tu verrouilles.

 

Beaucoup d’agressivité dans la représentation d’un travail d’employé. Mégalomanie insatisfaite. Que lui faut-il ?

 

Qui écoute en ton cœur ?

Volonté de profit.

 

Et bien les choses sont claires ! Nous avons là un parfait type de pensée libérale. C’est clair et net, jusqu’au niveau physiologique.

 

Qui ose encore le bien-fondé que tu penses en ton cœur ?

Alimenté par la seule qui a fait le motif sur une technique anonyme.

Qui a fait ta voiture dans ton enfance ?

Déjà fait de cacao pulvérisé protégeant l’intime secret

qui nous fait le travail à faire sans jamais te poser, si ce n’est peaufiner comment jouer, comment aimer des volailles en hachis de toute envie de vivre.

 

Il est totalement déprimé par son refoulement d’ordre narcissique. Il n’est pas satisfait de sa condition. C’est impensable de la part d’un homme comme Hyt KOULADYB. Il est réellement vieux et fatigué.

 

Hyt KOULADYB, de son côté, était plongé dans le noir, comme lorsqu’il mettait un blinder pour se reposer malgré la lumière du jour. Mais le test du Docteur PAÏEN n’était en rien reposant. Agaçant était un terme plus exact pour décrire cette désagréable sensation de penser sans le vouloir. Il mettait sa meilleure volonté à faire le vide en son esprit ; une fable de LA FONTAINE, quelle idée infantilisante, je suis capable d’approcher mentalement l’état de Tao quasi absolu ; mais ne parvenait pas à empêcher son cerveau de se figurer de lui-même certaines images mentales. En son esprit, il lui semblait entendre une multitude de voix le pressant de questions, et son cerveau, comme s’il était doué d’une conscience distincte de son âme, répondait comme sous l’effet d’un sérum de vérité. Il ne parvenait pas à détailler l’ensemble des mots-images qui se déployaient en lui, mais KOULADYB ressentait qu’il s’agissait de stimuli tantôt angoissants, tantôt plaisants, toujours fugitifs. Il sentit au fond de lui naître une forte déprime, un abattement tel qu’il lui semblait ne plus rien représenter au monde. Il pouvait entendre PAÏEN faire cliqueter son ordinateur, et cela l’agaçait d’autant plus que l’ensemble de l’expérience lui échappait entièrement. Un cobaye ; il me prend pour un de ses étudiants ma parole !

N’en pouvant plus de s’efforcer à ne rien penser pour la qualité du diagnostic, Hyt KOULADYB lâcha abruptement à un Docteur éloigné dans les ténèbres: « Je commence à comprendre ce qui a pu surmener le Professeur MOREAU. S’il a abusé de ce genre d’expérience pour mettre ce système en place, il a dû frôler la schizophrénie ! C’est terriblement agaçant, Docteur, de ne pas pouvoir s’empêcher de penser. Vous me voyez désolé de ne pas supporter cela, mais je crois que ma migraine va en s’empirant. Est-ce bientôt fini ?

- Nous avons terminé, Monsieur KOULADYB. J’ai effectué un relevé de vos principaux vecteurs mentaux, et une zone occultée se dessine très nettement. Où en est votre migraine ?

- Au pire de la douleur, Docteur. »

PAÏEN n’aimait pas l’insistance de KOULADYB à parler du Professeur MOREAU. Il sentait cet homme plus rusé qu’un renard, et qu’il devrait être vigilant à ne pas vivre aux dépens de ses flatteries. Mais vraisemblablement, KOULADYB n’avait pas l’air de vouloir flatter qui que ce soit.

PAÏEN fit signe à Betty, son assistante, qu’elle pouvait ôter le casque à Monsieur KOULADYB. Ce fut pour lui comme une sortie du tunnel. La lumière lui vrilla les orbites, et il dut se pencher en avant pour cacher la grimace de douleur que lui arracha l’insistante torsion derrière son œil droit. KOULADYB repensait aux exercices stoïciens pour faire abstraction de telles expériences désagréables. Il respira profondément par trois fois, et, le regard un peu fou, comme vengeur, toisa le Docteur PAÏEN de son air le plus autoritaire. « Qu’allez-vous m’annoncer, Docteur. Une bonne ou une mauvaise nouvelle ? »

Il n’était pas question de pavoiser ni de mentir pour PAÏEN. Il lui lâcha tout de go son diagnostic. « Il s’agit d’une douleur d’ordre psychosomatique, Monsieur KOULADYB. Il n’y a aucun trouble nerveux à proprement parler, ni aucun déséquilibre mental, même latent. Il s’agit tout simplement d’un refoulement en masse d’une partie de votre personnalité. Combien d’analyses avez-vous menées à leur terme, m’avez-vous dit ? »

KOULADYB resta interdit. Un refoulement ! Moi qui sait mieux me connaître que ne pourrait le dire un philosophe zenzunni, moi qui ai œuvré à accomplir chacun des penchants de ma personnalité, si ce n’était...

A la mine de l’architecte, PAÏEN se demanda s’il n’avait pas manqué de tact. Il doit être très fier de la connaissance qu’il a de lui-même, et lui annoncer qu’une bonne partie lui reste occultée ne doit pas l’enchanter, surtout à cet âge. MOREAU a toujours su mieux trouver les mots que moi, c’est certain...

 

KOULADYB ne savait pas s’il devait comprendre. La douleur était encore préférable à cela. Le sol se mit à tanguer sous ses pieds, et sa vision se colora de rouge, rouge sang. Il perdit connaissance avant même de se retrouver dans les bras puissants mais pris au dépourvu du Docteur PAÏEN. On le porta sur le chariot placé à côté d’eux, et l’assistante le réveilla en lui pinçant quelques nerfs précis derrière l’oreille gauche. PAÏEN se sentait confus. Il va m’en vouloir et j’ai tout fait foirer. Peut-être aurait-il mieux fallu que je fasse semblant de l’opérer, ça marche quelquefois... Mais KOULADYB, en sortant du bref néant, avait fait la paix en lui. La douleur avait encore disparu promptement. Il sentait qu’il l’avait ressentie pour la dernière fois. « Vous avez raison, Docteur. Rien n’aurait pu me le faire admettre d’autre que votre franchise. Toute ma vie, j’ai eu un rêve, et rien ni personne ne m’a permis de le réaliser, pas même moi. » Il respira profondément à nouveau avant de lâcher le gros morceau. « Pourriez-vous me mener aux laboratoires du Professeur MOREAU, afin de me soumettre à son ONIROSCOPE ? »

Comme la mâchoire de Pierre PAÏEN s’affaissa d’elle-même, Hyt KOULADYB sut qu’il venait de faire d’une pierre trois coups : il avait trouvé le moyen de guérir ses migraines, il allait savoir toute la vérité sur l’attaque du Professeur MOREAU, et il allait visualiser son rêve de jeunesse et peut-être rendre réel son projet d’Utopie...

HYT KOULADYB / PIERRE PAÏEN

Leurs EPISODIES

Première partie : Racines au pouvoir

1. L'Abomination

Episode 01

Episode 04

3. Invocations

Episode 08

Episode 09

Episode 10

Deuxième partie : Le Volcan dans l'Océan

4. Fondations

Episode 13

5. Initiations

Episode 17

6. Manipulations

Episode 20

Episode 24

Prochain épisode :

Episode 11 : 3.Invocations / Rowainrrr

La suite directe de la narration

Episode 13 : 4.Fondation / Hyt KOULADYB - Pierre PAÏEN

 

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